J'ai rencontré Nikki, de Hong-Kong, lors du Kangeiko au Kodokan... Habituée des lieux, elle a généreusement accepté de partager son expérience et ses conseils pour progresser. J'ai moi-même été surprise par son histoire et j'utilise aujourd'hui ce qu'elle transmet dans cette interview. Bonne lecture, bonne écoute !
Faire du judo juste pour s'amuser
Mes premiers pas avec les copains
Je m’appelle Nikki, je suis de Hong Kong et j’ai commencé le judo à 6 ans. J’ai commencé parce que le voisin voulait en faire mais pas tout seul... donc nous y sommes allés ensemble. On habitait dans un quartier policier donc tout le monde était policier et nous étions tous enfants de policiers. Nous sommes donc allés là où les policiers s'entrainaient. C’était plus un loisir, juste une fois par semaine. On s’y retrouvait et on jouait aussi.
C’est vrai que dans certains pays, comme au Japon, tu commences le judo à 6 ans et tu t’entraines 6 jours par semaine pendant 1h30, comme les enfants du Kodokan. Nous, c’était différent. C’était un loisir, tu allais au cours pour voir tes amis tout simplement...
DU JUDO... MAIS PAS POUR LA VIE !
Pour le secondaire, je suis allée à Singapour et j’ai continué le judo, mais cette fois-ci dans l’équipe de l’école. Je m’entrainais alors 3 fois par semaine et je combattais pour l’école. Ce n’était pas si difficile mais pas facile non plus car ils étaient sérieux sur le sujet.
Après cela, j’ai arrêté 15 ans. C’est pourquoi, lorsque j’entends des gens me dire qu’ils ont arrêté 10 ans et que ça les effraie de reprendre, je leur dis qu’ils le peuvent sans aucun problème !
J’ai donc arrêté dans les meilleures années, dans la vingtaine… Mais je suis asiatique. J'ai donc cette culture de ne pas faire du sport un métier, on a l'idée qu'on ne peut pas vivre du sport… qu'on ne peut pas faire carrière. À Hong Kong en tout cas, on pense à faire des études, les finir et trouver un bon poste. C’est ce que j’ai fait : je suis allée aux États-Unis, j’ai été diplômée en sciences de l’informatique et j’ai travaillé dans une banque. J’ai travaillé pour gagner de l’argent, c’est ça. C’est la trajectoire normale…
Intégrer l'équipe nationale de son pays
Ne jamais dire "jamais".
Mais finalement, lorsque j'étais aux États-unis, j'ai repris. Après 15 ans d'arrêt, j’avais encore cette envie d’essayer ça, le judo… Et puis je suis rentrée à Hong Kong et là, j’ai rejoint l’équipe nationale. J’ai fait de la compétition au niveau international. Mais j’ai pris ma retraite maintenant !
J’ai été sélectionnée en équipe nationale grâce aux compétitions nationales. Bien sûr, le niveau n’est pas très haut à Hong Kong donc j’avais cette chance ; ce n’est probablement pas possible en Europe, par exemple, de faire ça à 35 ans…
Mais ne dis jamais « jamais », parce qu’il y a toujours des cas où tu peux le faire. Pour moi, c’est tout dans ta tête. Après il faut être réaliste : faire les jeux olympiques, c’est impossible. Mais pour atteindre quelque chose, c’est possible pour tout le monde.
S'entrainer toute la semaine
En équipe nationale, certains athlètes y étaient à temps plein et s’entrainaient donc tous les jours. Moi, je devais travailler donc je m’entrainais 3 à 4 fois par semaine et bien sûr, en dehors, j’allais à la salle, je courais… Tout ce qu'on doit faire par nous-mêmes.
Pratiquer au Japon
J'ai connu le Japon lorsque j'étais enfant la 1ère fois ! Mon club a organisé un séjour judo ici, au Kodokan, pour le plaisir. Notre professeur a donc pris tous ces enfants de 10 à 20 ans et on a fait une semaine d’entrainements. On a vraiment aimé ça. Même si je ne sais pas qui se souvient exactement de quoi, c’était une belle expérience.
Et de nombreuses années plus tard, j’ai décidé de revenir pour un stage que l'on appelle « séminaire ». Voilà comment je suis revenue et devenue une habituée des lieux.
le judo loisir et le judo compétition : MÊME JUDO MAIS OBJECTIFS DIFFÉRENTS.
Est-ce qu'il y a deux types de judo, deux types d'entrainements selon qu'on est compétiteur ou loisir ? C'est une bonne question ! Je pense que ce ne sont pas des entrainements différents mais que tu dois quand même cibler ton public et t’adapter en quelque sorte.
L'esprit curieux
Si tu es un compétiteur de très haut niveau, tu ne peux pas te contenter d’une seule technique. Peut-être que quand tu regardes une compétition, seule une technique fonctionne, est utilisée. Mais dans ta poche, tu devrais avoir plus que ça ! Donc, dans un sens, tu dois te préparer à travailler plus que cette technique favorite si tu veux être vraiment très très bon. Surtout aujourd’hui où toutes les informations sont disponibles et tout le monde peut savoir ce que tu vas faire. Tôt ou tard, tu vas rencontrer quelqu’un de vraiment fort face à toi et il saura tout de ta technique favorite, alors ça ne va plus marcher…
J’ai pu constater que les judokas qui sont vraiment super motivés font comme de la recherche même s’ils sont au sommet. Les meilleurs judokas, déjà champions du monde, ne s’arrêtent jamais et ils vont trouver des trucs qu’ils vont travailler et ajouter à leur arsenal, dans leur poche… En ce sens-là, je pense que c’est le même judo, que tu le fasses à haut niveau ou comme un loisir, tu dois avoir cet esprit curieux, l’envie d’apprendre de nouvelles techniques.
Les bases
Les bases doivent être bonnes pour les deux types de pratique, que tu sois compétiteur à haut niveau ou juste débutant. Les bases sont si importantes que lorsque tu arrives à un niveau intermédiaire, si tu en as de mauvaises, cela va te bloquer pour pouvoir vraiment progresser. Tu pourras atteindre un certain niveau mais tu seras stoppé, tu atteindras un plafond… Tu as vraiment besoin de bonnes bases pour atteindre un bon niveau plus tard.
L'objectif
Ce ne sont donc pas deux types de judo différents, c’est plutôt une question de pourcentage sur lequel se concentrer et qui va dépendre de tes objectifs. Si ton objectif est de t’amuser, peut-être que ton entrainement sera plutôt avec des exercices sympas plutôt que des exercices très difficiles. Maintenant, si ton objectif est de te préparer pour un Grand Slam dans un un mois, là, évidemment, tu n’as peut-être pas le temps pour la partie sympa… Tu vas devoir travailler beaucoup de situations différentes, de kumikata, etc. Et en ce sens, on peut dire que des éléments spécifiques vont changer dans l'entrainement mais je pense qu'au final, le travail judo est le même.
L'exemple du kata compétition
Je fais aussi de la compétition de kata maintenant. La plupart des gens voient les katas juste pour l’examen de la ceinture noire : ils se disent qu’ils vont regarder les vidéos, faire la démonstration et c’est fini. Et est-ce que les médaillés olympiques devraient faire les katas ? Je pense qu’ils devraient essayer mais ne pas travailler vraiment ces katas car ce n’est pas leur objectif… En fait, juste montrer la forme du kata et vraiment la comprendre, ce n’est pas le même niveau. Donc dans un certain sens, si quelqu’un est intéressé pour essayer, il va comme s’ouvrir à un nouveau monde, poser la question de la compréhension de l’essence des principes du judo, et c'est utile pour les gens de tous les niveaux. Plus tard, certaines de ces personnes vont aller vers l’enseignement et ça leur sera utile ! Parce qu’être un champion et être capable d’enseigner, c’est aussi deux 2 choses différentes n’est-ce pas ? Donc, est-ce que tu t’entraines pour devenir un bon enseignant ou bien pour devenir un champion ? C’est la même question !
ENSEIGNER DE BONNES BASES, MÊME AUX ADULTES
Avoir une bonne copie grâce aux principes
Au départ, copier la forme de la technique avec des étapes définies 1, 2, 3... c’est important. C’est la base de l’apprentissage. Mais certaines personnes apprennent mieux quand elles comprennent les principes derrière ça. Je ne parle pas des enfants car pour eux, il s'agit plus de leur montrer où mettre leur bras et leurs pieds et faire qu’ils se le rappellent. Mais pour les adultes, certains apprennent en faisant, en ressentant et d’autres apprennent plus en analysant les informations dans leur tête.
Donc il faut être capable de transmettre pourquoi tu mets ton bras comme ça, quand c’est le moment de tourner et pourquoi tu ne mets pas ton épaule comme ça… Toutes ces bases-là, si tu ne fais que copier, je pense que c’est facile de ressortir avec une mauvaise copie en fait. Et quand tu commences à mal copier, c’est en fait très difficile de corriger.
Les bonnes habitudes avant la force
Normalement, tu apprends une technique, tu deviens meilleur et ensuite tu veux faire randori... Et là, quand tu commences à combattre, tu veux vraiment projeter, ce qui est normal. Donc tu commences à mettre de la puissance, or la plupart des adultes ont de la force ! Mais une fois que tu as commencé à mettre de la force, c’est très difficile de se défaire de ses mauvaises habitudes.
Tu te dis que tu veux y arriver mais tu ne peux pas parce que tu mets de la force qui te bloque toi-même ! N’importe quel adulte qui commence le judo adulte a sûrement remarqué ça : j’ai de la force, je veux faire mon seoi nage, je veux tourner mais je n’y arrive pas… Mon bras ou celui de l’autre me gêne, j’essaye de le retirer mais il ne bouge pas, c’est assez fréquent ! Donc avant que ça n’arrive, tu dois développer de bonnes habitudes. Je le sais car j’ai beaucoup de mauvaises habitudes.
CORRIGER LES MAUVAISES HABITUDES
Si tu dois corriger des mauvaises habitudes, tu peux revenir à la base des étapes 1, 2, 3 avec des uchikomis mais je pense qu’il y a différentes façons encore. Les uchikomis, c’est pour apprendre le mouvement, c'est vrai, sauf que parfois, tu peux avoir le plus beau mouvement en uchikomis, dès que ça bouge et que tu essayes de le faire, il n’y a plus rien ! Ça arrive moins pour ceux qui commencent très jeunes dans un pays où le niveau est haut parce qu’au moment où ils sont adolescents, c’est devenu naturel. D’ailleurs, quand ils deviennent professeurs, ils disent « mais c’est naturel, qu’est-ce que tu veux dire par ne pas pouvoir tourner ? Juste tourne ! Juste tire ! ». Mais l'élève, lui, ne comprend pas ! "Où ? Comment ? Je ne peux pas juste tourner, je suis bloquée, mon bras est derrière !". C’est très fréquent et je pense que répéter les étapes 1, 2, 3 peut ne pas suffire... Parfois tu dois trouver une autre façon de travailler, t’obliger à chercher un autre chemin… Apprendre à te relâcher et juste le faire... Et si tu as de bons judokas avec qui tu peux faire randori et qui te laisseront tourner, tu vas pouvoir ressentir. Sentir que quand tu te relâches et que tu tournes, c’est en fait possible. Et puis tu vas le faire avec quelqu’un d’autre et ça ne va peut être pas marcher. Alors tu répètes encore et encore pour le faire. Mais si tu es tellement habitué à utiliser la force pour juste projeter quelqu’un de plus petit que toi, alors c’est presque impossible de corriger tes mauvaises habitudes. C’est vraiment important que tu trouves ce qui est juste pour toi, la bonne façon pour toi de travailler.
pROGRESSER AU JUDO TOUTE SA VIE
Pratiquer les bons exercices à l'entrainement
Je pense que n’importe quel exercice qui fonctionne pour toi c’est bien. Tout le monde apprend différemment. Les uchikomis et le randori, c’est comme un canevas, mais sur ce canevas, ajouter des choses différentes, c’est bien. Je pense que tous les croisements, les mélanges sont bons parce que cela te permet d'essayer différentes choses.
Pour les débutants, ne mélange pas trop de choses parce que ce pourrait être perturbant, surtout en tachi waza. Juste apprendre où mettre le bras et ensuite tourner correctement, c’est déjà assez difficile. Avoir la bonne distance, par exemple, ça a l’air bien plus facile que ça ne l’est… même quand le partenaire ne bouge pas. Et en yaku suku geiko, quand le partenaire bouge mais que tu sais ce qu’il fait, tu ne peux quand même pas le faire parfaitement, c’est assez difficile. Donc avant d’atteindre un certain niveau, c’est bon de se tenir à un certain canevas et de le répéter encore et encore de façon à ce que ça devienne familier. Ça n’a pas à être si long, peut-être deux ou trois ans, le temps que tu aies des techniques et que tu commences à mettre tous les morceaux ensemble. Et là, ça peut faire sens de commencer à mixer les exercices et essayer différentes choses…
Le judo c'est la vie
J’ai toujours dit que le judo, c’était la vie. Quand j’ai commencé très jeune, j’aimais ça. Mais ensuite, au collège et lycée, je détestais ça. Je voulais vraiment faire du basket. Je détestais aller à l’entrainement mais parce que la majorité des gens n’avait pas fait beaucoup de judo lorsqu'ils étaient enfants, ils me voulaient vraiment dans l’équipe de l’école pour marquer des points…
Je faisais donc du judo parce que je devais, parce que j’étais ceinture marron quand tous les autres étaient ceinture blanche.
Mais moi, je voulais vraiment faire du basket et je suis devenue l’enfant à problème. On me pointait du doigt parce que je manquais l’entrainement... Et parce que je détestais vraiment ça, j’ai arrêté, je ne voulais plus en faire. Mais dans les années qui ont suivi, on a pu voir plus de compétitions ou vidéos en ligne et en regardant ça, j’en suis arrivée à la conclusion que j’avais gâché du temps. J’ai réalisé qu’il y a beaucoup de choses qui sont plus faciles quand tu commences jeune, comme le taïsabaki par exemple. Quand tu es plus vieux, ton corps ne bouge pas aussi vite que ton esprit. Parfois tu peux voir le bon timing mais tes jambes ne bougent pas…
Des regrets mais il n'est jamais trop tard
Donc le judo fait partie de toute ma vie parce que ça m’a donné des difficultés mais aussi beaucoup de joie et aussi des regrets du fait que j’ai manqué 15 années à l'âge où on peut tellement progresser… Mais ce n’est jamais trop tard parce que si tu regardes les professeurs ici, 60 ans c'est jeune ! Ils prennent encore tous les escaliers…
Donc, je pense qu’il y a tant à faire encore ! J’ai 40 ans et à 40 ans, tu peux apprendre tant encore ! Et chacun fait son propre voyage... Alors oui, les jeux olympiques, ce n’est plus possible, mais je peux encore m’améliorer, apprendre une technique, avoir un meilleur niveau, une meilleure compréhension. Il y a beaucoup d’éléments que je peux regarder et dire "oh, en fait j’utilisais la force, comment je peux apprendre et devenir quelqu’un de technique ?". C’est comme un défi.
Et comment tu enseignes aussi ? Si tu enseignes à quelqu’un qui est là pour s’amuser ou si tu enseignes à l’équipe nationale, peux-tu leur donner quelque chose qui va les aider ? Tu peux ne pas les battre évidemment car tu n’as plus 20 ans, mais tu peux peut-être apprendre des choses, peu importe où, qui vont leur être utiles. Et même si je ne peux pas les faire moi-même, s’ils peuvent les prendre et être meilleurs grâce à ça, c’est parfait pour tout le monde…
Être meilleur qu'hier
Peut-être que tu ne vas plus améliorer ta vitesse à partir d'un certain âge. Pour l’améliorer, tu dois cibler cet objectif et donc faire tous ces exercices que font les équipes nationales... Mais tu peux être meilleure que ce que tu es maintenant. Tu ne peux pas être meilleure que lorsque tu avais 20 ans mais pour être meilleure en judo après 40 ans ? Définitivement.
D’abord, la plupart d’entre nous ne sommes pas champions du monde donc même sur ta technique favorite, il y a tant à apprendre. Comment la passer, dans quelle situation... À moins que tu maîtrises vraiment cette technique, et dans ce cas prends-en une autre !
Oui, je pense que tu peux toujours faire des progrès. Peut-être que les progrès ne seront pas très rapides parce que j’ai manqué cette décennie en or sur les tatamis mais en faisant uchikomis tous les jours, je progresse. C’est vrai que c'est comme si rien ne se passait les premiers mois mais quand tu regardes un an plus tard, tu réalises que tu peux le faire vraiment mieux. C’est comme ça, tu ne ressens pas les progrès mais tu dois garder confiance, continuer à travailler et ça va devenir mieux.
Alors à la question de savoir si j’ai amélioré mon judo depuis mes 30 ans, je dirais oui ! Quand je suis revenue à Hong Kong, tout ce que je voulais faire était l’international et je trouvais que mon niveau n’était pas assez bon. J'avais besoin d’apprendre le kumikata, le newaza, etc. Et à cette époque, quand je travaillais, je n’avais pas l’impression de progresser. Mais aujourd’hui, quand je regarde mes vidéos, je vois qu’en fait je suis meilleure. Je n’ai pas encore un très haut niveau mais comparé à avant, je suis meilleure. Donc oui tu peux progresser, dans ta quarantaine, cinquantaine, soixantaine, aussi longtemps que tu peux bouger et garder un corps en bonne santé, tu peux progresser.
REMERCIEMENTS
Un très grand merci à Nikki pour avoir pris sur son temps, juste avant son avion le dernier jour ! J'espère la revoir très prochainement à Tokyo... 😊