J'ai le plaisir et le privilège d'avoir pu interviewé Frédéric Demontfaucon, un grand nom du judo français que beaucoup d'entre vous connaissent sûrement. Que ce soit pour l'avoir suivi en direct lors de sa carrière internationale ou pour l'avoir croisé en tant qu'enseignant ou même formateur sur un tatami, nombre de judokas savent apprécier son "beau judo" comme on dit. De mon côté, j'ai eu la chance de suivre plusieurs de ses cours à Paris et c'est suite à une très belle interview donnée à l'Esprit du Judo que j'ai eu envie d'en savoir plus ! Le "randori ouvert", pratiquer avec tous, ne pas se blesser... avec l'idée d'un seul judo qui puisse faire progresser autant les compétiteurs au plus haut-niveau comme Frédéric l'a été que les judokas loisirs ou même débutant... Est-ce vraiment possible ?
Frédéric Demontfaucon, 6 fois champion de France, a été médaillé olympique à Sydney en 2000 et champion du monde en 2001 (Munich). Il fut également 3 fois champion d'Europe par équipe et a remporté de nombreuses médailles sur les différents tournois internationaux, avant de se consacrer à l'enseignement et la formation.
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C’est vrai que les titres, ça reste mais ça date quand même d’il y a un peu plus de 20 ans et quand je suis sur le tapis, les plus jeunes ont rarement entendu parler de moi ! Je crois que ma vraie fierté de judoka, c'est de rester dans les mémoires pour la valeur technique. J’avais envie de faire du beau judo pour faire plaisir aux gens, me faire plaisir aussi à moi, bien sûr, et finalement la reconnaissance pour cet aspect est importante à mes yeux. Gagner c’est bien, mais avec la manière c’est mieux ! C'est ce que j'ai redit à Axel Clerget lorsqu'il a appris qu'il n'était pas sélectionné pour les Jeux. Marquer ippon, avec la manière, ça a toujours été mon fil rouge.
Frédéric Demontfaucon
1- LES CLÉS DE LA progression
1.1 S'engager À 100% dÈS LE DÉBUT DE L'ENTRAINEMENT
Dès le salut, le travail commence
Dès le salut, le travail commence. Se préparer mentalement, être présent pour la durée de l’entraînement…
Toute la partie échauffement est, d’après moi, importante. Elle permet de renforcer la motricité spécifique du judo. Quand je vais sur les entraînements d'un peu plus haut niveau, j’observe que les gens font des uchikomis dans la partie échauffement mais sans être vraiment imprégnés, concentrés à 100 % pour réaliser l’exercice. On sent que c'est devenu une routine… Alors que non, c'est un travail essentiel. En fait, dès le salut, on se concentre, on rentre dans la séance avec vraiment l’esprit qu’elle dure du début jusqu'à la fin. Il donne le tempo de la séance. Si on fait les choses correctement avec le mental qu'il faut pour être dedans, on progresse puisqu'on fait les éléments de travail qui sont importants. Ça n’a rien à voir avec le fait de le prendre à la légère, faire uchikomi ou nagekomi parce qu'il faut le faire, parce qu'on nous demande de le faire… en attendant les randoris. Aujourd’hui, on s’intéresse beaucoup aux randoris mais plus à ce qui nous permet d'y accéder. Tout le travail qu'on va faire dans l’uchikomi, le nage komi, tous les placements, timing, sont essentiels.
Connecter toutes les phases de l'entrainement et se concentrer pour donner le meilleur de soi à chaque séance
Je pense que souvent, on déconnecte un petit peu le mental alors que justement, la concentration, l’envie, c'est extrêmement lié au reste. Si on les met de côté et qu'on ne travaille pas dans cet état d'esprit, après, on n'est pas à 100 % et on ne fait pas ce qu'il faut pour la suite. Tout doit être connecté, bien intégré. Et quand on fait l’entraînement, on doit le faire avec toute la concentration et l'énergie qu'on peut avoir. Ce n’est pas si facile avec la fatigue mais c'est un bon exercice.
Bien sûr, on sait qu'il y a des phases de grosse intensité et parfois tout va très bien, d’autres fois tout va très mal… Mais à partir du moment où l’on sait pourquoi on vient et qu'on a un thème de travail, la séance ne peut être que productive. Il peut y avoir un peu de frustration parfois parce qu’il n'y a pas la réussite mais ça, c'est dépendant du caractère de chacun. Finalement, à la fin de la séance, on sait qu'on a travaillé, on sait qu'on a transpiré, qu'on a donné ce qu'on avait de mieux et on est satisfait parce qu'on a tout donné finalement. La frustration vient plutôt de ce sentiment d'avoir perdu son temps, d'être passé un peu à côté, s'entrainer sans but...
1.2 L'ART DU RANDORI
Faire randori avec tout le monde
Dans les clubs, il y a souvent un public hétérogène. Il s’agit donc d’apprendre aux gens à faire en fonction de ceux qu’ils ont en face. On peut faire randori avec une jeune fille ceinture bleue... C'est intéressant et ce n’est pas pour ça qu’on ne va pas travailler. On va travailler différemment, on va s'adapter pour permettre à chacun de s’exprimer et puis après, on va prendre le compétiteur… Donc en fait, dans la même séance, on peut avoir différents types de randoris avec différentes intensités ou, en tout cas, différentes intentions.
Ça dépend aussi des périodes, des programmations. D’ailleurs, je peux tout à fait faire du 3 minutes et celui qui fait la compétition, il fera tous les randoris alors que moi, j’en ferai un sur deux.
S'adapter pour profiter d'une diversité de partenaires bénéfiques
En fait, tout s’adapte donc il n’y a pas de problématique. Il ne faut juste pas sectoriser : chacun doit pouvoir trouver ce qui lui convient. Alors c'est sûr que s'il y a un seul compétiteur au milieu de judokas qui viennent juste pour le plaisir, il devra peut-être aller dans une autre structure pour essayer d'élever un petit peu l’opposition. Mais généralement, dans les clubs, c’est très hétérogène.
Moi, j'avais la chance d’être dans un petit groupe de 4 cadets où on se confrontait bien. Et puis il y avait les adultes aussi qui nous le rendaient bien. Donc ça matchait. Mais il y avait aussi ma sœur, des jeunes filles aussi qui étaient forcément un petit peu moins physiques et je faisais très bien judo avec elles… Je savais m'adapter aussi à qui j'avais en face de moi. Très tôt mon professeur et les adultes nous ont montrer comment faire randori.
Travailler sans imposer
Il faut pouvoir travailler en ce sens. Comme je le disais, on va aller chercher les randoris en fonction de ce qu’on veut travailler. Si on est en club ou en stage, on a des populations qui sont plus diversifiées donc on fait attention à qui on a en face et on essaie d'adapter son judo. En structure de haut niveau, on va faire randori avec beaucoup plus d’intensité. À l’INSEP par exemple, on sait que les gens ont une certaine pratique et qu’ils sont là pour ça… Cela dit, ce n’est pas pour ça que je vais travailler uniquement dans la force et que pour moi. J’ai toujours essayé de travailler avec toutes les catégories de poids, du plus léger au plus lourd. Avec les légers, retirer la force et travailler la vitesse. Avec les plus lourds, rester mobile pour ne pas subir leur puissance… et j’avoue que c’était un amusement partagé !
Dans ma carrière, j’ai toujours essayé d'être extrêmement relâché. Je n’avais pas un judo très envahissant ou avec beaucoup de force, mais en même temps, ce n’est pas ce que je cherchais.
En randori, même si à un moment donné, on essaie d'imposer quelque chose, le but pour moi n’est pas juste de mettre l'autre en situation difficile et puis de le garder comme ça… Mon but est de le faire tomber ! Donc si je suis là, en position avantageuse, c'est pour attaquer et pour faire tomber. Et si au bout de 4 ou 5 attaques, j’ai mis 4 ou 5 ippons, je ne vais pas le faire encore 10 fois, je vais changer, trouver autre chose… Sinon je fais ça 20 fois et ça n’a pas de sens. Pour progresser il faut se mettre dans l’inconfort…
Varier les partenaires pour mieux s'adapter
Je dis toujours que c'est important de choisir son partenaire pour travailler la technique. Avoir un partenaire qui soit capable d'être là, de vous aider. Si on prend quelqu'un qui n’a pas envie, qui ne se tient pas bien, c’est difficile… Donc c’est important de choisir son partenaire pour la technique mais après, dans le randori, justement, c'est la diversité qui compte. Plus on a de la diversité, plus on va apprendre des solutions. Si on fait toujours avec le même type de partenaires, des droitiers par exemple, on va apprendre ce type de situation et si on a un gaucher, on va être embêté. Il faut donc faire avec des droitiers hauts, des droitiers bas, des gauchers… Et pour pouvoir varier les partenaires, c’est important de ne pas rester que dans notre club et d’aller faire des stages… ou aller à l’étranger.
1.3 LE KUMIKATA POUR CRÉER L'INSTABILITÉ
Avoir une position favorable
Le judo, c'est avant tout réagir par rapport à ce que l’autre fait. Si j'impose 100 % mon schéma, quelque part, c'est que j'entends à peine ce que l’autre est… Maintenant, pour la compétition, je dois imposer ma meilleure position pour que l’autre ne soit pas à l’aise, lui, dans sa position. Car contrairement au randori, en compétition il faut gagner.
L'idée est que moi, j'ai deux mains et que lui soit en retard, qu'il n’ait qu'une main : là, je suis en position favorable. C’est comme au sol, est-ce que j’ai un bras, les deux, la jambe ? L'idée est aussi de créer cette supériorité, ce déséquilibre… Donc oui, je vais quand même me mettre dans ma position la plus favorable. Après, lui, il va faire la même chose donc c'est là que le combat démarre.
Tester différents kumikatas
Travailler son kumikata, c'est aussi un travail personnel. Tu peux mettre ta main plus ou moins basse, tu peux prendre le pliant, tu peux la mettre un petit peu dessus… C'est aussi à toi de tester, par rapport à la technique, les différentes positions. Moi, souvent, ce que j'aime bien dire, c'est que de toute manière, dans le combat, à un moment donné, il faut changer. Si tu restes toujours dans la même position, celui qui est en face va s’adapter. Par contre, si toi, tu es capable, à un moment donné, de croiser, de venir un petit peu plus haut, de changer… On créé beaucoup d’incertitude chez notre adversaire, on complexifie la lecture de notre jeu…
Adapter sa garde forte
Ta garde forte, en fait, tu l'adaptes en fonction de l’autre. Je me rappelle, quand j'étais minime, j'ai fait vice-champion d’inter-régions car en finale, je suis tombé sur un gaucher et je n’ai pas trouvé de solution. Après, j’ai analysé avec mon professeur et on a étudié. J'ai travaillé sur comment saisir les gauchers. De la même façon, il se trouve que dans ma catégorie, je n’étais pas forcément le plus fort physiquement. Quand j'avais quelqu'un qui était rugueux,je faisais en sorte de ne pas le laisser poser ses deux mains et rester mobile. Créer le déséquilibre au niveau des mains pour engager mes attaques.
Sur les Japonais qui avait un judo plutôt classique, on disait souvent d’avoir un judo assez physique… Et avec des gens physiques, avoir un judo finalement plutôt classique. En fait, tu adaptes ton judo et ton kumikata en fonction de qui tu as en face. Si tu as quelqu'un qui est normalement droitier mais qui prend ton revers pour monter sa main, il va falloir que tu construises parce qu’à chaque fois, il va te poser cette main et l'autre va monter.
ouvrir les possibilités et se les approprier
Finalement, le kumikata, c'est « contrôler » aussi la saisie pour ne pas te retrouver coincé. Et c’est là qu’on est plus dans la stratégie de combat. Mais être déjà un petit peu dans la diversification du placement de tes mains, c'est déjà intéressant. C'est ouvrir et enrichir, finalement, ta manière de faire et ne pas être juste au même endroit.
Après, il faut aussi que tu t'appropries les choses, que tu les « personnalises ». Par exemple, en garde emboîtée droitier/droitier il faut avoir le contrôle de la manche. Donc souvent, on demande aux combattants de la saisir en premier. Moi, personnellement, je préférais poser d’abord ma main droite au revers puis la manche. Plus jeune, je saisissais beaucoup au coude pour faire morote. Et puis après, pour Yoko tomoe nage, c'était plus facile pour moi d'être un petit peu plus bas. Mais ça ne m'empêchait pas, finalement, de varier, d'être peut-être un petit peu plus sur le triceps, le coude, en bout de manche… en fonction de qui j'avais en face.
1.4 Trouver la faille pour faire tomber
Avoir un large panel technique
Plus on a un panel technique qui est large, plus c'est facile de s’adapter. L’idée, c'est de trouver la faille pour faire tomber le plus costaud. Peut-être que faire un Seoi nage sur un plus costaud, ça va être aussi plus difficile. Peut-être que juste des balayages peuvent être plus déstabilisants. Un balayage, quand c'est bien fait, on peut faire tomber finalement tout le monde, sans mettre de force. C'est ça qui est riche dans le judo, c'est qu’on a tous types de populations et on va essayer de trouver la stratégie de comment faire tomber. Chercher à faire tomber tout en s'amusant. Ressentir ce moment exaltant ou l’on place sa technique sans ressentir le poids de l’autre et le faire vaciller… je n’ai jamais rien ressenti d’aussi fort !
TRAVAILLER DANS LES 4 DIRECTIONS
Plus jeune, je faisais un peu Tomoe nage et après, ça a dérivé sur l'autre côté en Yoko tomoe nage… Je ne l’ai jamais vraiment travaillé. Je le lançais surtout en randori. Elle était inscrite en moi. C’est sans doute même elle qui m’a choisi !
Une fois, on me l’a fait travailler pendant plus d'1 heure. J'avais mal pour mon partenaire mais le lendemain, j'avais un énorme bleu sur la cuisse… Tous mes uchikomis, je les faisais sur les autres techniques de mon système d'attaque. J'avais besoin d'apprendre donc mon idée était de construire dans tous les secteurs : les 4 directions de chute en fait. Avant, arrière, droite et gauche. Disons que je trouvais, en tout cas, une situation qui permettait d'attaquer dans ces directions-là.
Renforcer sa défense
Concernant les contres, ce n’était pas trop dans mon judo parce que j'étais mobile et plutôt dans l'esquive et dans la reprise d’attaque, j'avais du mal à me figer. Ce qui était assez dingue, c'est que j'avais mon frère dont la force, lui, était justement le contre ! Et moi, je n’ai jamais su faire, ça ne rentrait pas du tout dans mon profile. Cela dit, on peut travailler sur des renforcements : te guruma, ura nage, tani otoshi…
Et si on est dans l’esquive, on peut aussi la renforcer. En fait, il y a forcément un travail qui est initié par l’enseignant, sur des combinaisons, par exemple, ou d’autres formes, d'autres situations qui se retrouvent dans le randori… Si on a appris le go no sen, les défenses, on apprend des situations. Et quand on est dans le jeu du randori, on va retrouver ces situations.
Souvent, je pousse les gens à accepter d'être attaqué parce que si je suis toujours en défense et que j'empêche toujours l'autre d’attaquer, finalement, je ne vois pas ce qui se passe derrière. Je ne vois pas que si je suis attaqué, peut-être que je vais tomber puis peut-être qu'à un moment donné, je vais réussir à esquiver ou à me déplacer… Et à ressentir ce qui se passe quand je vais dans une direction ou l’autre. Et c’est là que je vais construire mes défenses ou contre-attaques. Par contre, si je suis toujours dans le verrouillage et j'empêche d’attaquer, je ne vais pas voir ce qu’il se passe. On ne sent rien et le jour où finalement, je n’ai pas réussi à bloquer, je ne sais pas quoi faire et je vais tomber.
Et surtout, le principe du judo, c’est de se servir de la force de l’autre !
Les préférences motrices
J'ai fait une petite formation sur les préférences motrices (Action Types avec Ralph Hippolyte et Oahn Nguyen) et j'ai trouvé ça extraordinaire. Je vais encore me former mais je pense rapidement l'intégrer pour le proposer aux enseignants. J’ai appris par exemple, qu’il y a des gens qui sont plus forts en ayant les bras ouverts et d’autres plus forts en ayant les bras fermés (soit horizontal et vertical). Donc si j'ai quelqu’un de type horizontal, je vais faire en sorte de le mettre un peu plus fermé et à l’inverse, si j'ai quelqu'un de type vertical, peut-être que je vais lui ouvrir un peu plus les bras. Autre exemple au niveau des points forts : on a ceux qui ont une rotation en dissociés, donc avec un point assez haut (milieu du dos) et d’autres qui ont un point assez bas (sacrum). Je peux savoir le type que j’ai en face et avec ma garde, l’empêcher, finalement, d'avoir une rotation efficace. Même au niveau des yeux, on a un œil moteur. Donc je sais que quand je vais monter ma main ici, si mon œil moteur est à gauche, je vais être assez rapide sur tout ce qui vient de là. Par contre, tout ce qui vient d’en bas à droite, je vais moins le voir et vais être beaucoup plus lent… mais au delà du côté stratégique c’est un bouleversement colossale pour l’enseignement.
1.5 Prendre du recul et analyser pour progresser
Se poser des questions pour ne pas refaire les mêmes erreurs
Je ne pense pas que le corps apprenne tout seul. Je pense qu'à un moment donné, et c’est ce que je dis de plus en plus, ce n’est pas juste une activité physique, c'est aussi une activité intellectuelle. Il faut comprendre pourquoi je déséquilibre dans ce sens, quelle action j’ai, qu’est-ce qu’il se passe. Si je ne réfléchis pas, en fait, je vais continuer à faire toujours la même erreur et je vais toujours tomber.
Passer par du ralenti
Tu peux refaire au ralenti, décortiquer ce qui se passe, essayer autre chose sur la situation suivante et voir ce qu’il se passe… Tu vas peut-être voir qu'il faut tirer là ou repousser là, qu’il faut te déplacer comme ça… et si tu connais tes préférences motrices ton geste sera plus adapté à toi.
C'est surtout dans la manière de pratiquer. Si tu fais toujours avec quelqu'un qui fait très fort par exemple, il va te faire tomber 10 fois et tu ne vas pas comprendre ce qu’il se passe. Par contre, si tu arrives un petit peu à ralentir les choses, à décortiquer, analyser ce qu’il se passe et comment toi, tu peux essayer de palier cette attaque (ce qui n’est pas forcément contrer), tu vas apprendre. Tu pourras ensuite augmenter ta vitesse et finalement réagir dans la vitesse.
C’est justement ça, pour moi, le randori. Il s’y passe des intensités et des rythmes différents, ce qui te permet, aussi, toi, de changer ta vision et pouvoir refaire certaines situations. Si tu refais sans réfléchir, sans ralentir, sans prendre du recul par rapport à ça, il se passera toujours la même chose en fait.
2- PROGRESSER EFFICACEMENT POUR LA COMPÉTITION
Ne pas perdre le sens... et grandir.
Je trouve qu’on voit parfois des athlètes qui sont là depuis des années mais qui, finalement, ont perdu un petit peu le sens de ce pourquoi ils sont là. Ils vivotent, ils sont presque contents d'être là alors qu’on est dans des structures de haut niveau donc on est là pour faire des champions.
Il faut que les gens aillent au bout d’eux-mêmes avec une partie, aussi, d’autonomisation. Souvent, on les coucoune un petit peu trop tôt. Il y a beaucoup de choses qu’on leur donne ou qu’on fait à leur place alors que finalement, ce n’est pas toujours les aider. C'est bien de se concentrer sur la performance et de tout donner pour ça mais en même temps, c’est bien aussi de faire grandir parce que quand ça s’arrête, derrière, ça devient compliqué si on n’a jamais appris à se débrouiller tout seul… Pour moi, le judo, à n'importe quel niveau, doit nous faire grandir. L’athlète doit devenir autonome et chercher à comprendre ce qu’il fait, à apprendre par lui même à trouver des solutions.
2.2 Le rythme compétitions
Des cycles de préparation ciblés
De mémoire, je faisais maximum 8 compétitions par an, tournois et championnats compris. Et je parle de quand j’étais minime, cadet, junior et même senior… Quand j'étais en équipe de France, j'étais quasiment à 8 compétitions par an également. Le système, à mon époque, était un petit peu différent d’aujourd’hui. On avait, en gros, deux pics de forme à avoir dans la saison donc c'était relativement simple. On avait nos entraîneurs qui nous préparaient sur ces cycles.
des cycles de développement et d'entrainement
Cela dit, quand on est plus jeune, c'est un peu différent car on n'est pas censé être dans cette programmation de cycles justement. Pour moi, on est encore dans l'apprentissage judo et on doit avoir des temps d’entraînement, de préparation, de réflexion, de développement… Et quelques tournois pour pouvoir un petit peu ajuster ce qu'on doit faire.
Aujourd’hui, je vois des enfants qui font 25 compétitions dans l'année et je trouve ça énorme. Avec en plus des critères où on leur fait la pesée la veille, donc avec des enfants qui perdent de plus en plus de poids. Je trouve que c'est assez catastrophique ! Il faut faire plus attention à la santé de nos enfants.
Les dérives liées aux pesées la veille
Ce qui est assez dingue, c'est qu’à notre époque justement, on se moquait un petit peu de la lutte parce que nous, on se pesait le matin et eux se pesaient la veille : ils avaient, de ce fait, des pertes de poids incroyables. Ghani Yalouz (champion du monde de lutte) m’avait dit qu’il avait perdu, je crois, 19 kg pour des championnats du monde ! On montrait donc la lutte du doigt. Je sais qu’il y a eu des livres sur le sujet et on a eu quelques médecins, comme Jean-Claude Brondani, qui dénonçaient ça.
Finalement, à un moment donné, il y a eu cette bascule : les lutteurs sont passés à la pesée le matin et nous, à la pesée la veille. Donc aujourd’hui, on a des dérives avec des gens qui font 10 ou 15 kg de plus que leur catégorie. Alors quand on est senior, c'est déjà compliqué mais quand on est cadet et même parfois minime, c’est catastrophique. Je vois des minimes, cadets qui perdent 5, 6 ou 8kg alors qu’ils sont en pleine période de croissance. C’est juste une hérésie ! J'aimerais vraiment qu'à un moment donné, on se pose des questions et qu’il y ait des changements par rapport à ça.
Faire du judo, c’est faire en sorte que des enfants deviennent des hommes forts et utiles à la société. C’était le vœu de Jigoro Kano. Les emmener vers quelque chose de vertueux et non les détruire. Aujourd’hui, certaines dérives où finalement, on ne prend pas soin de l’éducation de nos enfants, pour moi, c'est une violence.
2.3 Avancer par paliers, les barreaux de l'échelle
Un système progressif
À mon époque, même si ça peut faire un peu "vieux con" de dire ça, je pense que le système des championnats était bien fait. On avait un championnat sur chaque niveau : département, région, inter-régions et national. Cela faisait des paliers qui étaient quand même abordables. Au début, je n’ai pas gagné, puis j'ai gagné un championnat départemental donc j'ai commencé à espérer aller au-dessus. À nouveau, je n’ai pas gagné puis après, j'ai gagné la région donc j'ai commencé à espérer aller au-dessus et ainsi de suite… Jusque, finalement, les championnats du monde où ça ne m’a pas fait grand-chose, en soi, parce que c’était des étapes que j’avais juste validées à chaque fois.
Se donner le temps pour éviter le découragement
C'est vrai qu’aujourd’hui, quand on fait un championnat régional et qu’on passe au national ensuite, le cap est énorme, surtout pour certaines petites régions qui font face à l’île-de-France qui a quand même une concentration importante de gros clubs.
Je me rappelle de ma fille qui fait championne de région en senior et qui est qualifiée pour les premières divisions où elle prend Margot Pinot au premier tour. C'était très bien pour elle, pour l’expérience mais on a tout de suite vu la différence de niveau qui était monstrueuse. Et je ne suis pas sûr que ça l’ait vraiment motivée parce que finalement, elle s'est rendu compte de la distance qu'il y avait encore à réaliser et ça a eu l'effet inverse où elle s’est dit que ce n'était pas accessible. Si on grimpe à l'échelle et qu’il manque des barreaux, on se rend compte que ce n’est pas facile d'y arriver. Par contre, si on a chaque barreau, on peut grimper progressivement et se donner le temps.
Respecter l'ordre des briques pour la progression
Aujourd’hui, on a de plus en plus d’enseignants qui visent la performance dès le plus jeune âge. Enfin je devrais dire entraineurs parce que ce ne sont pas les enseignants qui veulent que les enfants soient performants très tôt. Je pense que ce n’est pas une bonne chose. On a besoin de briques qui doivent être mises dans un certain ordre avec des périodes où on doit développer certaines capacités. On a des études et des scientifiques qui ont fait des recherches : on sait que dans certaines périodes, on peut travailler plus spécifiquement dans certains domaines. Si on fait trop tôt, ce n’est pas bon et si on fait trop tard, on peut rattraper mais on n’est jamais au meilleur de ce qu'on pourrait.
Le problème de la course aux points
Aujourd’hui, avec les ranking list, il y a une course aux points avec beaucoup de compétitions. Finalement, les gens s’entrainent à la compétition et non au judo. On a des gens qui, tactiquement, stratégiquement, sont très forts mais après, en judo, c'est un petit peu pauvre. Enfin je trouve, personnellement. Quand on voit les championnats de France minimes, j’ai l'impression de voir des championnats de France juniors où les enfants sont déjà sur des stratégies de kumikata, de sortie de tapis… Et on ne laisse pas s’exprimer le judo. Là, on a vraiment une déperdition de la qualité du judo qui est importante.
3- L'ENSEIGNEMENT
3.1 construire son cours pour favoriser la réussite des élèves
Le jeu dans le judo
L’enseignement évolue. Par exemple, il y a 40 ans, je trouve que l'enseignement était très statique. Moi, j’essaie d'avoir un enseignement un petit peu plus dynamique parce que le judo, ça se fait en mouvement.
Je pense qu'il y a eu, aussi, une mauvaise compréhension : quand on a commencé à dire qu'il fallait des jeux, c'est devenu le jeu pour le jeu. Ça n’a pas trop d’intérêt. Par contre, si on fait un jeu qui a une utilité, oui c'est intéressant. On peut faire des formes jouées, finalement. J'aimais beaucoup le loup glacé en fin de séance parce que ça me permettait, dans le jeu, de reproduire la technique avec un peu moins de réflexion… Dans l’activité, quand les enfants saisissent le partenaire, ils sont tout de suite dans l'attaque donc je trouvais ça assez intéressant. Ce sont des jeux qui sont utiles à la pratique donc c'est très bien. Mais parfois, je vois des clubs où les gens vont faire faire du foot pour l’échauffement… Quand on a deux séances d’1h30 par semaine, si on commence déjà à faire une demi-heure de foot, on ne fait pas beaucoup de judo ! Sur le temps qui nous est imparti, l’idée est de rentrer assez rapidement dans la motricité, l’apprentissage du déplacement avec l’autre, le renforcement des appuis… Tout ça est extrêmement utile.
Du judo dès le début de séance
Dès le départ, finalement, l’échauffement est lié à la séance que je vais faire. C'est sûr que je ne vais pas faire le même échauffement quand je fais du newaza que lorsque je fais des techniques de hanche ou des techniques de jambes. Ce n’est pas tout à fait le même départ. L’idée est de préparer le corps à à la technique. Si on est sur la rotation, on va travailler avec une certaine approche, progressive, pour délier un petit peu le corps. Puis être dans la mobilité, dans le déplacement, dans le mouvement et après dans la transition. Il y a toujours, pour moi, une grosse partie technique qui évolue aussi très vite vers du kakari geiko ou Yakusuku geiko.
Finalement, le randori est dans la la continuité où les gens vont commencer à mettre un petit peu plus de rythme, d’opposition. Mais tout est lié. C’est ce qu'on disait tout à l'heure pour la compétition finalement : s’il manque des barreaux à l’échelle, c'est difficile d’avancer, de progresser.
Proposer une opposition progressive
L'erreur que j'observe souvent, c’est qu’entre la technique et le randori, il n’y a pas grand-chose donc l'espace est tellement important qu’après, c'est difficile de mettre la technique dans le randori.
Et il faut, encore une fois, que l'opposition soit progressive. Avec un temps long, de la répétition, et tant qu'on est en accord avec l’autre, ça va bien se passer. On trouve l’élément de déplacement, la réaction pour réussir à placer la technique… Mais si on n’a pas fait le lien, finalement, ce temps sera très difficile à trouver. Il faut donc vraiment combler cette transition pour que ce soit beaucoup plus fluide entre les deux partenaires mais aussi entre tous les éléments moteurs du départ qui sont extrêmement importants.
3.2 Le projet excellence
Technique et randori
Les cours que je donne, un mardi sur deux, à l’INJ (dojo Awazu) de 19h30 à 21h sont organisés selon un planning annuel, dans le cadre du projet excellence. L’idée est de reproduire une séance type avec différents thèmes proposés à l’avance. Je montre un petit peu le cheminement sur une technique sans oublier le randori parce que c'est un élément important. Et je me déplace dans toute la France pour partager ma vision.
Quand on a passé 10 ou 20 ans, finalement, à apprendre la technique, il faut essayer de l'éprouver aussi en randori. Mais j'aime bien avoir toujours cette partie technique parce qu’il y a tous les âges et tous les niveaux, puis glisser tranquillement vers le randori, assez libre, ouvert. Ceux qui veulent faire de la compétition vont au dojo de l’IJ. On a d’ailleurs des personnes qui démarrent l'entraînement sur l’IJ et qui viennent, après, faire de la technique avec nous. Et ça se passe bien, on n’a pas de blessés, les gens sortent plutôt ravis.
Du dojo Awazu à Paris...
Annoncer les séances à l’avance permet aux gens qui sont intéressés par certaines thématiques de venir sans forcément tout faire. Ça me permet aussi, moi, d’avoir une espèce de fil conducteur. Mais je ne suis pas sûr que ce serait bon pour un club car les enfants pourraient ne pas venir sous prétexte que ça ne les intéresse pas. Disons que c’est un peu comme pour les stages : si on va voir un film, on aime bien savoir ce qu’il va se passer.
...aux régions.
J’essaie, quand je fais le tour des territoires, de rester un petit peu sur cette vision-là et de faire comprendre aux gens ce qu’est le randori en fait. J'aime beaucoup parce que j'ai souvent l'impression que les gens découvrent. Ils sortent avec des yeux comme ça, ils ont la banane… J’ai même une présidente de comité qui a fait randori avec moi et elle avait la larme à l'œil en me disant : « ça fait 10 ans que je n’ai pas fait randori et en fait, ça me fait du bien." Je trouve ça juste génial donc finalement, il faut simplement faire attention à l’autre…
4. L'IMPACT DE LA FORMATION DES ENSEIGNANTS SUR LA QUALITÉ JUDO
4.1 Les contraintes de l'État sur le diplôme
Apprendre à enseigner ou passer un diplôme ?
En tant que formateur, je n’ai pas les stagiaires très souvent, je ne les ai qu’une fois par mois. C'est donc compliqué pour moi. Aujourd’hui, je trouve qu’on n'est pas forcément dans l’efficience au niveau de la formation. En fait, on leur apprend juste à passer un diplôme et donc, on essaie de les former pour ça, ce que je trouve un peu triste. Je préfèrerais leur apprendre à enseigner… Avec l’idée que si on leur a donné tout ce qu'il fallait pour enseigner, ils auront de toutes façons leur diplôme sans problème. Je pense qu'on a un petit peu dérivé et inversé les choses. Par exemple, il y a beaucoup trop de pratique de kata pour des enseignants qui vont accompagner jusqu’au 1er dan, ça n’a pas pas vraiment de sens je trouve. J’aimerais qu'on revoit un petit peu ce qu’est la formation. Encore la semaine dernière, j'ai discuté avec les stagiaires et je leur ai juste montré quelques décrochages sur Juji gatame. Ils ont ouvert de grands yeux et m'ont dit « oh mais c'est ça qu'on veut apprendre ! ». C'était vraiment des décrochages assez basiques et dans la discussion, j’ai constaté qu’il y avait un vrai problème.
Le tutorat parfois détourné de sa fonction...
Il faut voir aussi qu’ils sont sur des structures avec des tuteurs qui, en fait, ne s'occupent pas toujours d’eux… Il y a des tuteurs qui sont très bien, je ne généralise pas. Mais certains prennent les jeunes en apprentissage et les mettent, en fait, sur des cours. Alors que normalement, ils sont censés les observer et leur expliquer, les former. Mais ça ne se passe pas comme ça. Alors même si c’est 300 ou 350 heures en théorie, il y en a qui ne sont pas vraiment utilisées pour la formation.
La qualité de la formation se retrouve dans le judo pratiqué
J'essaye de passer des messages par rapport à ça mais il y a beaucoup de choses à revoir. Après, malheureusement, c'est l'État qui donne un petit peu le format du diplôme et on est plus ou moins obligé de s'y tenir. Ça a beaucoup été réduit alors qu’encore une fois, moi, mon rôle, c'est de former de bons enseignants, ce n’est pas de former des enseignants juste pour avoir des enseignants. Sinon, on donne le diplôme à tout le monde. L’idée est quand même qu’ils aient de vrais outils pour enseigner le judo et développer leur métier. Et que le judo reprenne un petit peu ses couleurs, qu'on retrouve sur le tapis une qualité de judo. Moi, ce qui me fait vibrer, ce qui m'attire, c'est de voir la belle pratique, et je pense qu'il y a encore du chemin à faire par rapport à ça.
4.2 Être enseignant ou entraineur ?
D'ailleurs, quand je regarde un petit peu le profil des gens qui entrent en formation, je pense souvent qu’on peut déjà voir ceux qui vont durer dans le temps et ceux qui vont être limités et qui vont lâcher. Très tôt, on peut sentir une fibre d’accompagnement, d’enseignement. Je pense que ça se fait assez tôt dans le parcours. En fait, ce n’est pas à la fin de la compétition qu’on se dit juste : « tiens, j'ai envie d'être enseignant »... Aujourd’hui, je pense qu'il y a beaucoup de jeunes qui veulent surtout être entraîneurs mais qui ne veulent pas être enseignants. Pour moi, ce sont vraiment deux choses qui sont différentes.
5- DURER DANS SA PRATIQUE, DES ANNÉES COMPÉTITION JUSQU'AUX VÉTÉRANS
5.1 AVOIR UNE THÉMATIQUE DE TRAVAIL
Lorsque j’étais athlète de haut-niveau, ça s’inscrivait sur du temps long donc forcément, on construit les choses. J'ai appris, dans le club, à faire randori. Je pense que j'ai la chance d'avoir eu des adultes qui étaient là pour nous le montrer. L'intergénérationnel est extrêmement important dans les clubs pour que les plus grands montrent, finalement, aux plus petits les bonnes pratiques. Après, oui, avec le haut niveau, comme on s'entraîne quand même plusieurs fois par jour parfois, c'est vrai qu'il y a aussi une certaine lassitude. Je pense alors que c'est important, et Jean-Pierre Gilbert me le rappelait, de s’imposer une thématique sur les entraînements, et pas forcément que sur les randoris. C'est vrai qu'il y a une grosse partie de l'entraînement qui est le randori et il s’agit de venir avec toujours quelque chose en tête pour ne pas divaguer finalement… pour vraiment savoir ce que je venais faire. Bien sûr, ça ne marche pas toujours même si on s'est fixé quelque chose. Mais il y a toujours des choses qui arrivent autour, qui gravitent autour… Et puis, on arrive toujours à sortir quelque chose finalement de cette séance. On peut le répéter si ça n’a pas fonctionné, jusqu'à ce qu'on trouve le bon dosage. Ça prend forcément du temps. Et c’est parce qu’on fait des erreurs que l’on apprend…
5.2 QUEL EST TON MOTEUR ?
J'ai toujours essayé de faire évoluer mon judo et de continuer à apprendre. On peut dire que mon moteur, finalement, ça a été de continuer d’apprendre. Sans cette envie d’en savoir toujours plus, de devenir encore meilleur, chercher le geste parfait… Sans doute que je me serais lassé de répéter toujours la même chose, alors que là, j'ai toujours quelque chose de nouveau qui me nourrissait…
Par exemple, quand j'ai commencé à travailler un sode à gauche, il m’a fallu souvent 2 ou 3 ans avant qu’en compétition, et même parfois en randori, ça soit efficace. Il s’agit donc d’avoir des fils de travail, comme font les enseignants finalement avec les séquences. On sait qu’il faut entre 6 et 8 semaines pour que les choses s’imprègnent et que sur ce temps-là, on ait répété, répété, répété. On part d'une technique et on fait évoluer cette technique pour que les choses commencent un petit peu à rentrer. Et puis l’enseignant, avec le temps, va le reproduire sur les différentes années pour que ça se réalise correctement avec, à chaque fois, un petit truc en plus…
5.3 Se projeter sur du long terme
La passion à la base
Pour pouvoir inscrire son judo sur le long terme, au-delà de la période de performance, il y a plusieurs facteurs je pense. Me concernant, je pense que déjà, j’étais passionné. Un vrai amoureux du judo, dès tout petit, j'ai aimé très tôt. Assez rapidement, je suis venu aider mon professeur. Vers 10 ou 12 ans déjà, je l'accompagnais sur les séances chaque mercredi et chaque samedi. Je ne regardais pas les dessins animés, j'étais du début jusqu'à la fin de la journée sur le tatami avec lui. Il m’a formé et transmis la passion de l’enseignement.
Voir loin
Ensuite, je pense que j’ai eu la chance d'avoir un professeur qui m'a dit, et ça m’a toujours marqué : « tu seras à ton meilleur niveau, tu seras performant entre 26 et 28 ans ». Et ça a été effectivement les années où j'étais champion du monde et médaillé olympique. Il ne s’était pas trompé alors qu’il avait donné une période courte, de deux ans. Et en fait, il m'a toujours dit : « de toute manière, je te prépare pour le long terme ».
5.4 Pratiquer ensemble, sans sectoriser
pratiquer des randoris "ouverts", pour tous
Pour pouvoir pratiquer des randoris ouverts, on peut proposer des choses aux partenaires mais c'est toujours compliqué car tout dépend de comment ils ont été éduqués. Si le professeur-entraîneur leur a inculqué cet état d’esprit, ça devient naturel pour eux, ils n’ont pas connu autre chose. Il faut essayer de trouver les gens qui ont la même vision que nous dans la pratique… Après, bien sûr, il y a la réalité du combat donc si on veut progresser en compétition, il va aussi falloir se confronter à ce public-là. Tout dépend de ce qu'on cherche. Mais ce que je dis souvent, c’est qu’il n’y a pas des judos, il y a un judo. Il n’y a pas les vétérans, les femmes, etc… De plus en plus, on sectorise : les cadets, les juniors… mais la richesse, c'est de se mélanger et d'être capable de s'adapter à celui qu'on a en face. Pour moi, l’éducation, elle est là. Qui j’ai en face et comment je peux pratiquer avec cette personne. Si j'ai quelqu'un qui a envie de faire un peu tranquillement, je ne vais pas lui rentrer dedans, je vais faire en sorte qu'elle se fasse aussi plaisir. Je me fais plaisir et on se fait plaisir ensemble finalement. Aujourd’hui, on a des gens qui foncent tout droit. On leur a dit ça. Je fonce dedans et finalement, je ne m'occupe pas de l’autre, je m'occupe de moi.
Faire que les adultes reviennent
La belle pratique permet aussi de durer. Faire du judo, du sport, c’est ralentir la dégénérescence du corps et de l’esprit. S’arreter, c'est vieillir plus vite. C'est sûr qu'on n’a plus les mêmes capacités avec l’âge mais la pratique continue aussi à nous entretenir physiquement, physiologiquement, donc c'est important de faire et de faire avec un minimum de risque. Pour moi, une séance qui est réussie, c'est une séance où il n’y a pas de blessé. C'est une séance où les gens ont transpiré, où ils ont le sourire, ils ont appris, ils sont contents et ils reviennent. C'est un petit peu ça aussi, le but du judo. Aujourd’hui, on souffre un petit peu, malheureusement, de la désertification de nos seniors.
Savoir chuter
Je me rends compte queles gens ne savent plus chuter. J'ai fait une animation la semaine dernière et je leur ai dit qu’ils devaient chuter au moins une fois par randori. Je me suis rendu compte après le covid, où finalement j'ai moins pratiqué, que quand j'ai recommencé à chuter, je trouvais ça dur, ça faisait mal parce que finalement, c'est juste un manque de pratique. Je pense qu'il faut s'imposer de chuter régulièrement parce que si on ne se l'impose pas, le jour où on chute, c'est là qu'on se fait mal. Et c'est là aussi qu’on développe une appréhension de la chute parce qu'on chute moins souvent.
Il faut aussi, dans l’enseignement, laisser le choix à Uke de quand il va chuter, la direction qu'il va prendre et petit à petit, ça va être Tori qui va reprendre un petit peu l'ascendant mais au moins, Uke a pris confiance. Il faut ensuite répéter. Sur les adultes qui ont démarré tard et qui ont parfois une appréhension de chuter, on peut faire pareil. On n'est pas obligé d'avoir des grandes chutes. On peut faire l'attaque et ça peut dérouler.
Les adultes, quand ils viennent à l’entraînement, souvent ils sortent du travail et sont là pour penser à autre chose. Ils ne sont pas là pour se blesser… parce qu’un artisan qui se blesse, c'est catastrophique pour lui. Et c'est vrai qu’aujourd’hui, la population adulte a un petit peu fui nos tatamis et je trouve ça vraiment dommage. Encore une fois, on s'accorde avec l'autre et on fait ensemble : de quoi il a envie.
la "pratique plaisir" des vétérans.
On a quelques vétérans qui continuent et je trouve ça tant mieux car ça leur donne aussi une activité mais parfois, je trouve qu’on est aussi dans la dérive : on va de plus en plus vers la compétitivité. On recherche des classements, bientôt la ranking liste et pour moi, c'est une dérive qui est assez néfaste. L'idée au départ des vétérans, c'était d’échanger, de partager, prendre du bon temps, du plaisir et je trouvais ça très bien. Mais je pense que, malheureusement, l’état d’esprit a changé. Aujourd’hui, on va sur des athlètes qui commencent aussi à beaucoup se préparer, à préparer les championnats mais pas forcément à être dans la "pratique plaisir", dans l'échange.
Avoir du monde sur le tatami
C'est marrant parce que j'ai participé à des entraînements vétérans où finalement il y avait tout, avec presque moins de vétérans que d'autres personnes. Mais comme c'est mis en place par le référent vétérans, cela fait une animation, un stage. Sauf qu’il faut arrêter de tout sectoriser. Aujourd’hui, quand on dit « entraînement de masse », les gens pensent que c'est un entraînement fort, de compétition...
Je pense que ce qui est important, c'est qu'il y ait de la masse sur le tapis, qu'on soit ensemble et qu'on partage tous ensemble, puis chacun va trouver ce qu'il est venu chercher. Je me rappelle, quand je suis arrivé dans la région toulousaine, au début, sur les entraînements de masse, il y avait tout le monde. Petit à petit, les anciens étaient partis et il n’y avait plus que les compétiteurs. Petit à petit, ça s'est tari… il n’y avait plus rien. On a perdu cette dynamique, cette ambiance.
Permettre la transmission
Pour finir, il faut penser à la transmission, c’est-à-dire que le jeune qui vient faire avec toi, il est content, il va se donner pour te faire tomber et tu vas aussi lui apprendre la bonne manière. C'est ça la transmission, c'est aussi extrêmement important. Ne pas juste être centré sur soi. Alors c'est vrai qu’aujourd'hui, la société est un petit peu comme ça. Mais j’espère, en tout cas, que le judo conservera le plus longtemps possible ces valeurs-là ainsi que toutes ces valeurs civiques. Je regardais encore Stéphane Nomis qui redisait, lors du weekend à Montpellier, que le judo, c'est aussi servir pour la société, ce n’est pas juste un sport.
Pour moi, le judo, c'est le partage, c'est l'échange, c'est être ensemble, c'est prendre du temps l'un pour l’autre. Ce n’est pas juste « pour moi ». Aujourd’hui, on a des gens qui sont centrés sur eux-mêmes et qui pratiquent pour eux. Quand je vois, même aujourd’hui, l'entraînement à l’IJ où il y en a qui arrivent quand ils veulent, ils font ce qu'ils veulent et ils repartent quand ils veulent… Je trouve qu'on perd complètement le sens de notre judo, de toutes nos valeurs. Il faut arriver à garder un cadre. Quand on vient, on participe, c'est la vie du club aussi….
Merci Frédéric pour cet échange riche d'enseignement et à bientôt sur les tatamis !
Merci également à France Judo pour son aide logistique sur cette interview.
Hello !
Une très belle interview avec beaucoup d’enseignements.
Tout est une question d’éducation ( Mondõ est très important).
On doit refuser personne pour un randori ( ma devise ).
ah tu lis vite Dylan, quelle réactivité ! 😃 Tu as raison, ça aurait été intéressant que l’on parle de Mondo aussi !
Super interview, très cohérent dans sa pratique et sa transmission de l’art du Judo, en total accord avec lui.
😃 ça donne l’impression que vous avez déjà été sur son tatami 😉
Très bonne vision du judo juste une remarque sur la façon dont Frédérique voit le vétérans et compétition je pense qu il n a pas conscience de la qualité de certains malgré leur âge et de leur forme physique juste un chiffre 800 participants au dernier championnat de France 2024. Le mélange de génération sur le tapis est maintenant profitable à tous vive le judo et bravo à Frédérique pour son parcours.
un super championnat de France où il me semble que la convivialité est toujours de mise, avec l’accueil de novices qui s’essayent… aux côtés des plus expérimentés… avec le plaisir en commun !
Très content d’avoir lu cette article qui retrace ma vision du Judo , je suis aussi d’accord que nos enseignants ne sont pas assez bien formés depuis la suppression du BE . Pour moi le randori est une méthode de communication avec l’autre sans chercher à savoir qui à raison .
Ah oui, jolie définition du randori 😉
Très bonne interview, je partage complètement son point de vue, ses idées et sa conception du judo, je suis ceinture noire et pratiquant depuis 50ans et le beau judo est aussi mon credo, la technique et l’intégration de tous les niveaux, pour moi le judo est une école de vie, merci encore pour le partage de ses valeurs 👍.
Merci Philippe !
à méditer, digérer et mettre en application. On retrouve la philosophie d’un autre vrai enseignant : Patrick ROUX
😍👍🏽 Et d’ailleurs, j’ai eu la chance de pouvoir les avoir ensemble sur le tatami au stage de Montpellier ! Vous êtes déjà allé à ce stage ?