Anne-Fatoumata M'Bairo, championne de France en novembre 2023 et multi-médaillée nationale et internationale, partage les précieux enseignements qu'elle a pu tirer de 15 ans de haut-niveau dans le judo. Aujourd'hui jeune entrepreneur avec le lancement de son entreprise Keurnani, Anne-Fatoumata n'en a pas encore fini avec les tatamis de l'excellence... On l'attend au tournoi de Paris 2024 !

[Toutes les photos sont issues des comptes instagram d'Anne-Fatoumata et de Keurnani]

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO, JUDOKATE EN +78KG

Je m’appelle Anne-Fatoumata M’Bairo, j’ai 30 ans, je fais du judo depuis mes 5 ans et aujourd’hui je suis judokate en +78kg, étudiante et jeune entrepreneur.

« Grande depuis toute petite, j’ai toujours voulu faire comme les légers ».

Avoir été plus grande et plus costaud que la moyenne depuis toute jeune n’a jamais vraiment été un sujet. J’ai toujours voulu essayer de faire comme les plus légers même si c’était parfois impossible. Mais mon esprit de compétition faisait que je voulais faire comme eux et c’est ce qui fait ma force aujourd’hui, notamment lorsque je rencontre des filles qui sont vraiment plus lourdes que moi. Le fait d’avoir toujours voulu me déplacer comme les légers ou adopter des schémas similaires m’a aidée à avoir le judo que j’ai aujourd’hui. Sur le tapis, je peux m’adapter à une -48 kg comme à une lourde.

Travailler différemment avec des gabarits différents

Je travaille de plus en plus souvent avec des -78kg ou même des -63kg voire -57kg. Mais ce n’est pas pour être dans l’affrontement, je ne mets pas de force, je m’adapte. Cela fait que je m’amuse et je prends beaucoup de plaisir. Aussi, je travaille autrement, tout comme mes partenaires qui travaillent aussi autrement. C’est très intéressant, par exemple, au niveau de la mobilité, dans les déplacements, la vitesse… Pour mon 1er combat, je commence toujours avec Marie Fernandez : on aime bien travailler ensemble parce que ça nous fait évoluer toutes les deux sur la mobilité. 

Je travaille aussi ma tactique et ma technique. Je peux travailler le kumikata, avec des feintes par exemple… Je vais pour monter ma main et finalement, je ne la monte pas, je peux jouer différemment !

En fait, cela m’aide à sortir du contexte et à ne pas être tout le temps avec celles de ma caté. Je peux développer d’autres choses dont je n’ai pas forcément l’habitude avec mes concurrentes directes où je suis hyper ancrée, plus fermée. C’est important d’apprendre à ne pas être figé et de développer différents automatismes, encore plus peut-être dans ma catégorie où je n’ai jamais les mêmes profils.

Mon cerveau doit pouvoir se dire : « Là, je m’adapte, je fais de telle manière ». Travailler avec les légères, c’est donc vraiment intéressant, même mentalement. 

La force des Japonais

Anne-Fatoumata Mbairo est avec des judokas au Japon

D’ailleurs, c’est un peu ce que les Japonais font. Lorsqu’on va en université là-bas, ils ne sont qu’une quinzaine sur le tatami donc ils sont obligés de tourner entre eux, mêmes entre filles et garçons. Ils n’ont pas le choix que de travailler différemment, parfois plus souples, parfois plus durs… Et changer, comme ça, de gabarits dans ses partenaires, je pense que c’est une force.

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO : COMMENT CONSTRUIRE SON JUDO

Bien connaitre son schéma et ensuite adapter

Il est important de savoir rester dans son schéma et dans ce qu’on sait faire, sans vouloir faire 10 000 choses à la fois. C’est ce qui permet de se perfectionner sans s’éparpiller. Une fois qu’on maîtrise son schéma, on peut commencer à apprendre à l’adapter à tous les adversaires. 

Anne-Fatoumata-Mbairo à l'INSEP

Nous, les filles de l’INSEP, on a cette expérience qui fait qu’on va chercher la perfection et donc apprendre à se diversifier. On va se forcer à prendre des partenaires qu’on aime moins. Ça permet, en compétition, de pouvoir se rassurer lorsqu’on stresse ou qu’on angoisse face à certaines concurrentes. Le cerveau se dit automatiquement « ok tu stresses, c’est réel mais à l’entraînement tu l’as fait ». C’est l’une des choses qui fait qu’on peut se concentrer sur le combat à venir sans s’éparpiller sur tous les autres facteurs qui déconcentrent comme le public, la pression de l’évènement et toutes ces petites choses partout autour. 

C’est comme une routine où l’on peut se rappeler précisément ce qui a été fait à l’entrainement et s’y référer pour l’appliquer sur le combat à venir.

Adapter son travail selon les échéances

Lorsque la compétition approche, je vais me focaliser sur ce que je sais faire et sur ce que je fais bien pour le répéter afin de créer une atmosphère de confiance. Ainsi le jour J, je peux me dire « tu as répété tes gammes, c’est solide, tu es prête ». C’est ce que je prépare 2 à 3 semaines avant l’échéance mais c’est une temporalité qui varie selon les athlètes. Et bien sûr, je parle pour nous qui sommes sur le tatami tous les jours.

Le kumikata en "fausse patte"

Je suis droitière et donc censée rester tout le temps à droite. Mais je suis fougueuse dans mon judo. Parfois je teste des choses… Ça m’arrive d’avoir des retours de personnes qui me disent « tu m’as fait peur en faisant ça ! » ou encore des coaches qui me hurlent dessus « Non ! Ne fais pas ça ! ». Quand je vois leurs grands gestes, je comprends que je dévie et je me recentre. Je reviens à ce que je maîtrise et je sais me concentrer.

Anne Fatoumata Mbairo en combat de judo

J’utilise souvent la "fausse patte", c’est à dire que je viens en gauchère pour être en garde opposée et faire en sorte qu’on ne prenne pas mon bras qui monte. Cela me permet de le protéger et de pouvoir m’en servir ensuite parce que mon judo, c’est d’armer, prendre de l’élan et monter fort le bras. C’est ma force. Donc cette fausse patte, c’est comme un « pré-kumikata » qui prépare la suite.

Ce type d’éléments que j’ai dans mon judo, ce sont des choses que l’on m’a conseillées. Là en l’occurence, c’était parce que comme j’aime monter ce bras, une fois qu’on me connait, c’est facile de repérer mon schéma. Je dois donc trouver des variantes, des tactiques pour pouvoir continuer à faire la même chose, ce qui fonctionne, mais en étant moins prévisible. La fausse patte, c’est l’un des éléments que l’on m’a appris pour ça.

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO ET LE HAUT-NIVEAU 

Départ au pôle

Je suis d’une famille de sportifs. J’ai commencé le judo à 5 ans mais il faut savoir qu’à 2 ans et demi, je voulais déjà faire du hand ! Je ne me suis jamais dit soudainement que je voulais faire du haut-niveau, c’est venu progressivement, au fur et à mesure… En fait, j’avais besoin de me dépasser à chaque fois, me surpasser encore et encore et un jour, à un entrainement de masse, on m’a dit que je devrais venir en pôle. Mes parents n’étaient pas trop d’accord au départ car j’ai deux grandes soeurs qui ont fait du hand et qui étaient déjà en structures donc pour moi, la petite dernière, c’était plus difficile. Mais j’ai eu gain de cause et je suis partie en pôle.

Je suis allée directement au pôle France de Marseille. À ce moment-là, je ne connaissais même pas l’existence de l’INSEP. Le pôle, c’était extrêmement dur car je n’étais pas talentueuse, j’étais plutôt une bosseuse. C’est durant ces années au pôle que j’ai commencé à entendre parler de l’INSEP et des compétitions internationales. En juniors 2, de fil en aiguille, je me suis dit que l’INSEP pourrait être bien pour moi. Je ne me voyais pas retourner chez mes parents après Marseille… Je me suis donc entrainée de plus en plus dur pour y arriver.

Se forger le mental.

Psychologiquement, c’est très dur d’arriver en pôle. D’abord, j’étais éloignée de ma famille. Parfois, je ne rentrais pas du tout car il y avait des compétitions le week-end donc il fallait enchainer sur la semaine suivante directement. 

Il y avait aussi la charge mentale où il a fallu apprendre à convoiter la concurrence. Adolescents, on est parfois horribles entre nous donc ce n’était vraiment pas toujours sympa, dans la caté comme dans les catés au-dessus ou au-dessous, peu importe. 

Citation judo de Anne-Fatoumata Mbairo

Mais tout ça, c’est aussi ce qui nous permet de développer des capacités de résilience, et c’est ça qui sert par la suite. Tu n’es pas champion que par les résultats, tu l’es aussi par ton état d’esprit. Et c’est d’ailleurs à ce stade-là que tu vois les personnes qui sont faites pour le haut-niveau et celles qui ne le sont pas. Quand tu es en pôle et que tu vois des personnes qui se reposent sur leurs lauriers ou qui font des calculs, même si sur le coup, tu ne te rends pas compte et tu trouves ça normal, avec le recul, tu comprends que ces personnes-là n’étaient pas faites pour le haut-niveau. 

Pourquoi ? Parce qu’il va arriver un moment où tu vas devoir te surpasser encore plus. Surtout psychologiquement. Physiquement, ce n’est pas tant la question car le corps est comme une machine, il peut faire beaucoup de choses. Même si tu n’en peux plus et que tu es sur les rotules, tu peux dire à ton corps de faire et il le fera. Mais si ta tête ne suit pas… même avec un corps en pleine forme, ça ne fonctionnera pas. C’est pour ça que dès le pôle, tu commences à te démarquer par ton état d’esprit et je pense que c’est là aussi où les entraineurs commencent à voir qui sera champion et qui ne le sera pas.

force 1 : l’entourage

Citation judo de Anne-Fatoumata Mbairo

L’entourage est très important même si on en parle peu. Le fait que j’ai eu une famille sportive m’a énormément aidée. J’ai des grandes soeurs qui sont passées par les mêmes étapes que moi, même si ce n’était pas dans le même sport donc ça m’a vraiment aidée. J’ai pu voir qu’il y a certaines personnes qui sont faites pour le haut-niveau mais elles ne sont pas bien accompagnées par leur entourage. Par exemple, certains parents disent, lorsque qu’ils voient leur enfant dans le dur : « arrête, reviens à la maison… » et c’est humain, c’est normal. 

Mais si on n’a pas la force de caractère de réagir en se disant « c’est ça que je veux, c’est dur et je vais y arriver », alors on rentre effectivement à la maison et après on a des regrets. Beaucoup titillent le haut-niveau et disent ensuite « J’aurais pu… ». Mais non. Ils auraient pu mais ils ne l’ont pas fait. Peut-être qu’aujourd’hui, ils auraient la force mentale de le faire mais sur le coup, ils ne l’avaient pas, ils ne l’ont pas eue et ils n’ont pas été  bien accompagnés. Ce n’est pas le hasard qu’ils ne l’aient pas fait.

force 2 : savoir ce qu’on veut

Ce qui est important, c’est la force de savoir se dire « je veux faire ça ». Etre sûr de son projet. Quand tu es jeune, ce n’est pas évident d’être sûr de l’avenir mais tu peux être sur que tu veux continuer à t’entrainer dur.

Anne-Fatoumata Mbairo en kimono bleu de judo avant une compétition

J’ai fait de la préparation mentale à un certain moment ce qui m’a aidée à développer certaines choses. Je pense que la préparation mentale, c’est avant tout avoir un bon feeling avec ton préparateur. C’était mon cas. Mais au final, j’ai préféré arrêter parce que tout ce travail ne venait pas vraiment de moi. En fait, j’ai réalisé que tu peux avoir toutes les clés que tu veux (les préparateurs mentaux, les psy…) mais si, à l’intérieur de toi, tu n’as pas décidé, ça ne passera pas. 

À cette période-là, j’ai vu plusieurs préparateurs mentaux mais je n’étais pas capable de décider « oui, c’est vraiment ça que je veux » parce que j’avais d’abord d’autres choses à régler avant. C’est pour ça que même si le préparateur mental était là, son travail ne servait presque « à rien »… Bien sûr, on emmagasine toujours des choses, le travail sert toujours. Mais ça aurait pu être beaucoup plus bénéfique si, à ce moment-là, je savais ce que je voulais. C’était finalement ça mon vrai besoin.

force 3 : le développement personnel

Récemment, j’ai suivi un coaching en développement personnel et ça m’a énormément aidée. J’ai pu poser certains mots et développer, voire renforcer, certaines valeurs. Cela m’a fait énormément de bien. Aujourd’hui, c’est ce qui fait que je me sens mieux, épanouie.

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO : COMMENT PROGRESSER SUR LE TATAMI

Répéter pour assimiler

S’il y a une chose qui m’a fait progresser concrètement en judo, c’est vraiment la répétition. Des séquences techniques répétées encore et encore. Parfois, il faut se forcer. J’avoue que j’ai déjà pleuré, crié, mis des coups à mon partenaire parce que je ne maîtrisais plus mes gestes… À certains moments, j’avais envie d’envoyer tout balader. Je me disais « mais ce n’est pas possible, je ne suis pas plus bête qu’un autre ! ». 

En fait, le corps a besoin d’assimiler. On peut croire que son travail ne sert à rien mais au final, ça sert. Il arrive qu’en combat, tu fasses quelque chose que tu réussis comme si c’était tout simple… Mais ce n’était pas tout simple, ce sont les heures de travail qui font que le corps et le cerveau se sont connectés et que tu as donc assimilé la chose.

développer ses sensations

Anne-Fatoumata Mbairo en plein combat de judo durant une compétition

Je dois dire qu’il y a parfois des techniques que je ne sors de nulle part. C’est le cas de mon spécial actuel. En fait, Ko soto et Ura nage, je ne les sors de nulle part, c’est arrivé soudainement.

On était en stage au japon et je me faisais massacrée. Les japonaises se pendaient à moi car je suis grande et j’en avais vraiment marre.. Au bout d’un moment, je ne sais pas comment ni pourquoi, je sors ko soto. Je vois que ce n’est pas si mal. J’ai refait. Je me suis pris de sacrées nuques au départ, il faut le dire… Mais aujourd’hui, je ne fais quasiment que ça.

Voir l'ensemble : le travail et les résultats

La conclusion de tout ça, c’est qu’il y a des choses que tu travailles et d’autres qui semblent venir toutes seules mais en fait, c’est ton corps qui t’amène à les faire parce qu’il a assimilé d’autres éléments. Ton corps se positionne d’une manière où tu testes un truc et tu réalises que ce n’est pas si mal. Mais c’est vraiment le travail en amont qui permet au corps de ressentir ces choses nouvelles.

Citation judo de Anne-Fatoumata Mbairo

C’est pour ça que la répétition, c’est super important. Je choisis une seule chose : une séquence de kumikata, une attaque… C’est compliqué d’être tout le temps sur la même chose parce que c’est redondant, il y en a marre ! Mais plutôt que de s’éparpiller et aller à droite et à gauche, il vaut mieux faire un seul truc et le répéter. Et même si parfois, tu as beau répéter encore et encore mais ça ne marche pas, ça sert quand même parce que c’est là que le corps peut faire d’autres choses.

Faire des randoris à thème

Pour les randoris, je pense que c’est mieux de se mettre des thèmes pour progresser. Pendant longtemps, j’ai fonctionné à la bagarre. En pôle, c’était comme ça : il fallait se battre, se battre, se battre. Alors oui, se battre, c’est bien. Mais ajouter de la technique et de la tactique, c’est très bien aussi. Je pense qu’avant, les judokas n’avaient que la bagarre pour travailler mais aujourd’hui on a des moyens comme la vidéo par exemple ou d’autres moyens énormes qui sont mis en place et qui font qu’on peut faire évoluer ce travail. Bien sûr qu’il faut se battre : l’affrontement est notre sport. Mais il faut aussi faire travailler le cerveau en ajoutant ces aspects techniques et tactiques. Cela permet de se préserver aussi. 

Citation judo de Anne-Fatoumata Mbairo

Parce qu’en fait, j’ai remarqué que tu peux te battre tout le temps à fond, cela ne va pas empêcher l’autre de le sentir et te sortir un seoi par-ci ou autre chose par-là… Donc ça ne peut pas être que la bagarre.
Moi je me dis que cet entrainement, je ne vais faire que de la tactique, celui-là que de la technique, et celui-là encore que de la bagarre. Par exemple : je ne vais me focaliser que sur une technique précise pour la travailler, l’enclencher et voir à quel moment elle passe, quel moment elle ne passe pas.

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO : 15 ANS D'EXPÉRIENCE À PARTAGER

Le temps apporte beaucoup

Sur mes 15 ans de haut-niveau dans le judo, j’ai vu une évolution. Je n’aborde plus les choses de la même manière. Bien sûr, quand j’étais jeune, j’arrivais à certains entrainements la boule au ventre parce que je ne connaissais pas, j’avais un peu peur, surtout pour les stages, ce sont de nouveaux lieux. Mais au fur et à mesure, j’ai appris à connaitre l’exercice et j’ai pu arriver sans pression. C’est la même chose au niveau compétition. Au fur et à mesure du temps, tu développes des capacités que tu n’avais pas avant. L’âge fait aussi que tu mûris et que tu abordes les choses différemment.

Conseils pour les jeunes

Pour les jeunes en pôle, je leur conseillerais avant tout l’écoute et la persévérance. Écouter au maximum. Quand on est jeune, on est vite saoulé par le « vieux » ou la « vieille » mais on se rend compte par la suite que c’était vraiment pour nous aider. Avec ça, persévérer : travailler encore et encore. Tu peux avoir des compétences mais si tu ne les exploites pas, certaines personnes qui avaient moins de capacité que toi vont te dépasser assez rapidement juste parce qu’elles auront travaillé. Être acharnée du travail. Être concentrée. Peut-être que ce n’est pas pour tout le monde mais moi, c’est ça qui a marché. 

Anne-Fatoumata-mbairo s'étire sur les terrains de l'INSEP

Ce n’est pas toujours évident car parfois, tu as envie de suivre les copains, tu veux avoir la vie d’une personne lambda. Mais quand tu veux faire du sport de haut-niveau, tu es confronté très tôt à cette vie de sportif haut-niveau. En pôle, tu trouves ça difficile.

Et arrivé à l’INSEP, tu comprends que c’est là que ça commence vraiment. Ça n’a rien à voir. Tu es confronté à une intensité sur tous les plans. C’est vraiment dur. Mais une fois que tu as traversé ces choses-là, tu vois combien ça vaut le coup car il y a certaines choses que tu ne pouvais vivre que dans ces moments-là, ce n’est pas possible de les vivre ailleurs.

Les vertus de la persévérance

Je suis vraiment le bon exemple de la persévérance. En cadette, je ne mettais pas un pied devant l’autre. Mon meilleur résultat était 7ème sur les inter-régions (demi-finales). 

Puis, au début des juniors, ça a continué à être compliqué. C’est dur, quand tu es jeune, de voir les autres réussir et pas toi. Mais en fait, il vaut mieux réussir plus tard que tôt. Car quand tu réussis tôt, tu te reposes sur tes acquis, tu penses avoir acquis un certain niveau. C’est vrai que pour certains, ils ont ça en eux et ils peuvent conserver leur niveau. Mais pour la majorité, ça se complique ensuite parce que le niveau devient plus fort, les entrainements plus intenses et ils ne savent pas encaisser.

En juniors 2, j’ai commencé à faire un peu plus de résultats et être plus constante. C’est ce qui m’a permis de gagner les France juniors et accéder aux Europes. Après, j’ai fait mon 1er podium France senior lorsque j’étais encore Junior 3. 

J’ai enchainé, par la suite, avec systématiquement des 3ème place aux France seniors. C’était cool que la médaille soit là à chaque fois mais je n’étais pas née pour faire 3ème ! Là encore, j’ai dû utiliser la persévérance, comme ce que j’avais acquis plus jeune. 

Ce qui fait un grand champion

Anne-Fatoumata Mbairo en pleine victoire durant une compétition de judo

S’il y avait un mot qui résume ma carrière, ce serait vraiment la persévérance. Et preuve en est, j’ai le titre de championne de France cette année, à 30 ans. Il a fallu être patiente. Combien de fois j’ai appelé ma famille en leur disant que je voulais tout arrêté. Ils me disaient « tu es sûre ? » et hop, je repartais… Ce n’était pas évident, il faut le dire. Les personnes qui disent que c’est facile, elles mentent. Même les plus grands champions ont des doutes, des coups de mou, des moments difficiles. C’est le lot de tout le monde. La différence, c’est que les grands champions vont au charbon et ne lâchent pas. Ils travaillent encore et encore.

La nécessité de tout couper

Il m’est arrivé de vraiment tout couper. Lorsque je n’en pouvais plus et que même mon corps ne pouvait plus. Dans ces cas-là, je me change les idées et après, je peux revenir. Même si c’est difficile, physiquement, de revenir après une coupure, mentalement, j’en ai besoin. Après, tout le monde n’est pas comme moi… Mais durant mes coupures, je ne fais pas de sport, je ne peux même pas en regarder à la télé ! Par exemple, pour les vacances de Noël qui arrivent, je vais à nouveau tout couper. Et même si je me dis que je vais faire un peu de sport sur la fin des vacances, je sais qu’il y a de fortes chances que je n’en fasse pas finalement. Bien sûr, ça me fait culpabiliser. Je vais me dire que je n’ai pas respecté mon programme, que j’avais dit que je le ferais….  Mais au final, avec l’expérience, je me dis que dans tous les cas, je vais devoir reprendre, je n’aurai pas le choix. Je vais pouvoir cracher mes poumons, souffrir, me dire « j’aurais dû »… peu importe, je vais y retourner. Et au final, ça m’aura fait du bien à la tête cette coupure. Et c’est le plus important car c’est un besoin. 

Anne-Fatoumata Mbairo en vacances

Il faut aussi dire une chose : parfois, je reviens et c’est comme si je n’avais jamais arrêté ! Je suis toute fougueuse… J’ai la tête reposée, ça fait un bien fou ! Alors oui, le corps se désentraine vite donc on le sent, on est vite fatigué. Mais ça vaut le coup parce qu’être euphorique et aimer le moment, ça fait tellement de bien.

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO : AVOIR UN AUTRE MÉTIER EN PLUS DU JUDO

Depuis quelques mois, j’ai lancé mon entreprise, une boutique en ligne de linge de table. Cela ne vient pas de nulle part…

La déco : un beau refuge

J’ai toujours aimé la déco, cela vient de ma mère qui m’a transmis ce goût. En 2021, avec le COVID, je me suis retrouvée dans cette année supplémentaire de course à la qualification pour les jeux olympiques. Cela a été très compliqué pour moi, j’ai comme explosé et j’ai dû me trouver un refuge. C’est là que je me suis alors vraiment plus plongée dans la déco et de fil en aiguille, je me suis perfectionnée. Je regardais sur les réseaux ce qui se faisait. J’aimais autant voir le côté esthétique que le côté fabrication. J’ai toujours été manuelle et j’aime faire les projets vraiment de A à Z. 

Ce jour anodin qui va pourtant tout changer…

Anne-Fatoumata Mbairo et la table qu'elle a présentée à ses amies

Un jour j’ai invité des copines à la maison et pour l’occasion, j’ai fait une belle table, ce que j’adore faire. Elles l’ont vraiment remarqué et m’ont dit que c’était super d’être aussi bien reçues. Comme j’avais un compte instagram sur la déco, où je partageais toutes mes astuces ou idées, j’ai publié des photos de cette table. J’ai aussi eu de très bons retours.
C’était un tissu africain en wax qui venait d’une robe que j’avais fait faire au Sénégal et dont il me restait des chutes. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais dit à ma mère mon idée de faire un chemin de table à partir de ce reste de robe… 

Et elle en avait été surprise… Elle l’est toujours avec mes idées farfelues, ce n’est pas la première fois ! Mais quand je le lui ai montré, pour le coup, elle a vraiment trouvé ça joli.

Du fin fond du Kazakstan

Le 17 juin 2023, j’étais au Kazakstan pour une compétition, c’était le jour de la pesée. Je m’ennuyais un peu, le wifi était super mauvais et je ne pouvais que scroller mes photos. Je suis retombée sur cette fameuse table, faite pour le diner des copines quelques mois auparavant. Et là, j’ai eu le flash : je pourrais confectionner et vendre des chemins de table africains. 

J’ai encore appelé ma mère, comme à chacune de mes idées… Et encore une fois, elle a commencé par être surprise… mais au final, m’a dit que c’était pas mal comme idée ! Nous avons échangé et elle m’a confirmé qu’au Sénégal, avec tous les couturiers qu’il y a, ce projet était réalisable. Il fallait que je cherche des idées de modèles, voir si ça ne se faisait pas déjà… Et me voilà donc à ne penser qu’à ce projet, la veille de ma compétition ! 

L’importance des études

C’était compliqué parce que j’avais plein d’idées pour ce projet, et forcément, j’avais envie de les partager… Mais je devais garder tout ça pour moi parce que rien n’était concret. Je ne pouvais pas trop m'avancer sans être sûre que ça allait voir le jour… 

Il se trouve que pour le choix de mes études, comme je savais juste qu’après le haut-niveau, je ne ferai pas du judo professionnellement, j’avais choisi de études de secrétariat. De fil en aiguille j’ai poursuivi en organisation puis en marketing. Mes parents ont toujours apporté beaucoup d’importance sur les études et moi-même, j’ai compris très vite que dans le sport de haut-niveau, tout pouvait basculer du tout au tout très vite. Entre mon éducation et cette conscience de la réalité, j’ai donc toujours accordé énormément d’importance à mes études. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis encore en études, même à 30 ans. J’ai dû dédoubler plusieurs années pour pouvoir faire du judo mais je n’ai pas raccourci, pour autant, ces études.

La passion : une affaire de tempérament ?

Durant l’été, j’ai vraiment senti que ce projet prenais de plus en plus de place. Heureusement d’ailleurs que c’est arrivé au moment de la coupure d’été parce que si ça avait été dans l’année, je ne sais pas comment j’aurais fait tellement ça me prenait tout mon temps, tout mon esprit. C’est comme le sport en fait : quand tu es animé par quelque chose, tu ne sais pas faire à moitié ! C’est l’avantage et l’inconvénient des sportifs de haut-niveau : faire les choses tête baissée, à fond. Parfois, c’est bien, mais d’autres fois, c’est moins bien parce que tu ne te focalises que sur ça comme s’il n’y avait rien d’autre alors que la vie autour ne s’arrête pas !

ANNE-FATOUMATA M'BAIRO : une RECONVERSION se prépare.

La difficulté de tourner la page judo

J’ai donc eu le temps, durant l’été, d’échanger avec ma mère et peaufiner mon projet. J’ai vraiment fait marcher mon imagination… Et c’est à la rentrée de septembre que j’ai décidé d’en parler à mon entourage. Là, j’ai eu de super retours. 

J’en ai aussi parlé à mes coachs, c’était important pour qu’ils comprennent que je suis en train de tourner la page du haut-niveau progressivement. L’un de mes deux coachs, Barbara Harel, a fait beaucoup de haut niveau et elle sait ce qu’est la reconversion. Elle encourage toujours à vraiment préparer cette étape. On discute beaucoup ensemble et à moi, elle m’a toujours dit que c’était important que je me prépare sans me jeter dans la gueule du loup du jour au lendemain. Il faut comprendre que même quand tu as déjà un projet pour ta reconversion, c’est une phase difficile. Rien qu’au niveau physique, ton corps réagit : tu perds tes muscles, ta dépense énergétique change complètement. Tu passes de deux entrainements par jour à « entrainement si tu veux », c’est une transition brutale ! Par dessus ça, c’est aussi tout ton univers social qui change. Il ne faut pas se le cacher : c’est quelque chose qui fait peur. 

Lorsque j’avais dit à Barbara que j’allais lever le pied ou arrêter complètement au moment de ma fin d’études, à l’été 2025, elle m’avait encourager à me préparer progressivement. Et elle m’a vraiment aidée pour ça, j’ai énormément de chance car je pense que ce n’est pas donné à tout le monde. Quand on y pense, même en tant qu’entraineur, c’est difficile de voir son athlète s’en aller, d’accepter cette page qui se tourne. On partage tout avec nos entraineurs, ils sont comme nos parents, notre famille en fait. On gagne, ils sont là, on perd ils sont là. La transition n’est donc pas évidente, ni du côté de l’athlète ni du côté des entraineurs. J’ai donc vraiment de la chance d’être accompagnée de la meilleure des manières.

Être bien accompagnée

Aujourd’hui, je gère donc ma carrière judo et ce projet entrepreneurial de front. Ce n’est pas évident car c’est un projet intense. Comme il est innovant et que je n’ai pas de concurrents directs, je dois vraiment tout créer moi-même. Et je suis perfectionniste !
En plus de ce lancement professionnel et du judo, j’ai aussi mes cours. C’est un peu trois vies… Mais pour les cours, j’ai une adaptation grâce à l’INSEP. 

Anne-Fatoumata Mbairo et la table qu'elle a préparée

Et là encore, j’ai vraiment la très grande chance d’avoir des professeurs très à l’écoute et qui m’aident beaucoup dans mon projet. Ils sont exceptionnels. Ils m’accompagnent vraiment. Par exemple, encore tout à l’heure, une prof m’a envoyé un code promo pour les cartes de visite que j’avais besoin de faire… Ce n’est pas tous les professeurs qui feraient ça ! J’ai énormément de chance. D’autant que là aussi, j’ai besoin d’être bien entourée pour réussir. Ma mère a fait du commerce plus jeune mais c’était une autre époque… Là, tout est nouveau, il y a beaucoup de choses à mettre en place et le moindre petit élément prend une forte ampleur.

Des journées intenses

J’ai cours de 7h45 à 9h45, depuis je suis chez moi, en distanciel. Ensuite, j’ai entrainement judo à 10h ou 11h selon les jours. Donc soit j’enchaine direct après les cours soit j’ai un petit créneau pour travailler sur mon entreprise. Cela dépend aussi du lien de mon entrainement : c’est parfois à Champigny, à 10 minutes de chez moi, et d’autres fois à l’INSEP où j’ai plus de trajet. J’ai aussi entrainement l’après-midi ou le soir. À cela, je dois ajouter la vie sociale. Ces derniers temps, on me dit souvent qu’on ne me voit plus mais même moi, je ne vois plus moi-même parfois !

Pourquoi une judokate fait une bonne entrepreneur ?

J’utilise les qualité acquises au judo directement pour ce projet. Par exemple, la première qualité est certainement la persévérance. Ce n’est pas pour rien que les entreprises recherchent souvent des sportifs de haut niveau. Ils savent qu’ils se mettent « facilement » en difficulté. Moi, j’ai été confronté à la difficulté depuis si longtemps et si fort que finalement, au moment d’arrêter le sport de haut niveau, je cherche encore de la difficulté à affronter. 

C’est ce que j’ai trouvé en tant que nouvelle entrepreneur. Et je suis contente car je me disais que la façon dont le judo m’animait, je ne pourrais retrouver ça nulle part… Il me fallait donc retrouver quelque chose qui m’anime un minimum, qui me mette en difficulté, dans des états intenses. Même si je ne peux pas retrouver ces sensations de façon aussi fortes qu’au judo, je devais trouver ça au moins en partie. Et là, c’est ce que je vis, parce que ce n’est pas un long fleuve tranquille ce projet !

Dans les qualités acquises au judo que je transfère dans mon entreprise, il y a aussi le désir de perfection, le travail acharné. 

En fait, je peux dire que tout ce que m’a appris le judo, je peux l’utiliser sans problème dans l’entreprise. D’ailleurs, j’ai fait pas mal de stage dans le cadre de mes études et à chaque fois, ce sont ces éléments ressortaient : chercher la perfection, travailler, etc.

Les premières briques de l’entreprise

Site internet de Anne-Fatoumata Mbairo pour son entreprise Keur nani

Pour lancer Keurnani (le nom de mon entreprise), j’ai tout fait moi-même, depuis le compte Instagram jusqu’au site. Je voulais ce côté challenge d’apprendre à le faire mais c’était aussi pour savoir ce que c’était et pouvoir en parler en connaissance de cause. Parce que plus tard, lorsque je vais vouloir déléguer, je veux pouvoir comprendre la personne qui fera ce travail et ne pas lui dire « c’est facile » alors que je sais, en étant passé par là, que ça ne l’est pas. J’espère vraiment pouvoir déléguer plus tard et communiquer plus facilement avec les personnes grâce à cette première expérience.

Je prépare aussi le salon du mariage qui aura lieu le 20 et 21 janvier 2024, 2 semaines avant le tournoi de Paris, à la porte de Versailles. En fait, c’est ma première compétition de l’année : je vais me battre mais d’une autre manière. Ça va être intense, une expérience super, il y a 45 000 personnes attendues ! Ce sera un gros weekend et j’espère que ça me mettra dans de bonnes conditions pour le tournoi de Paris.

Le plaisir dans la performance

Comme j’ai 30 ans aujourd’hui, ce n’est pas toujours facile de trouver la motivation pour le judo. Avec cette entreprise qui m’accapare tout, lorsque j’arrive sur le tatami, je n’ai qu’une envie, c’est de m’amuser. Et dans le plaisir, on performe plus. D’ailleurs, ça s’est vu aux championnats de France ! Maintenant, le judo pour moi, c’est vraiment mon échappatoire, c’est vraiment là où je prends du plaisir. Et c’est parfait parce que j’accorde beaucoup d’importance au fait de finir ma carrière avec de la joie, le sourire en parlant du judo… Je ne veux pas finir en étant aigrie, en me disant que la fin était pesante, dure… Au contraire, je veux pouvoir me dire que c’était franchement dur et intense mais que si c’était à refaire, je le referai. C’est ce que je me dis aujourd’hui. Même les moments les plus difficiles que j’ai eus, si c’était à refaire pour les moments de joie derrière que j’ai eus aussi, oui je les referai, sans hésitation.

REMERCIEMENTS

Un immense merci, Anne-Fatoumata, pour ton temps et ta générosité dans tout ce que tu partages. Ton parcours est une inspiration pour nous tous : je te souhaite le MEILLEUR pour les prochaines échéances judo et pour le développement de ta superbe entreprise ! À bientôt 👋



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  • Une belle âme doublée d’une sportive déterminée et humble.
    Elle revient sur son parcours assez compliqué au départ. Et dans ces difficultés qu’elle trouve les ressources nécessaires pour rebondir. Elle découvre le plaisir de faire du judo presque à la fin de sa carrière : une vertu qui à mon sens devrait être cultivée assez tôt et ce, quelque soit la trajectoire ultérieure haut niveau ou tout simplement plaisir et non loisir😉

    • Merci pour ton commentaire K ! Oui, une « super nana » comme on dit, pleine de ressources, réflexions, projets et réussite ! Enfin heureusement, elle ne « découvre » pas le plaisir seulement à la fin, dès toute jeune, elle adorait ça puisque c’est ce qui lui a permis d’arriver au haut-niveau petit à petit sans trop s’en rendre compte… Elle raconte que jeune, elle adorait juste se surpasser sans même savoir que les pôles et l’INSEP existaient. Après, c’est sûr que c’est un peu comme tout, quand tu t’engages à fond pendant des années, il y a des moments où tu te retrouves « la tête dans le guidon » comme on dit !
      Grâce à son témoignage, ça nous permet aussi d’y réfléchir 🙂

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