L'interview est disponible en vidéo, en bas de page.
INTRODUCTION : POURQUOI INTERVIEWER JEAN-LUC BARRÉ ?
LA LÉGENDE
Aujourd'hui, j'interviewe Jean-Luc Barré, ce judoka au parcours assez incroyable, qui fête en cette année 2022 ses 50 ans de judo ! C'est assez drôle parce que je connaissais Jean-Luc avant de le rencontrer.
J'en entendais parler comme une légende, comme LE judoka qui avait passé ses grades au Japon, comme celui qui faisait LA compétition annuelle du Kodokan... Je ne comprenais pas bien tout ça mais ça me faisait rêver.
Un jour, alors que j'étais en stage à Tokyo, j'ai vu ce fameux Jean-Luc Barré combattre lors de cette fameuse compétition annuelle. C'était le seul étranger au milieu de tous les japonais. J'étais béate d'admiration et lorsque j'ai vu son judo, je n'ai pas été déçue !
LE CLUB KOGAKUKAN
Quelques années plus tard, deux amis judokas m'invitent à passer dans le nouveau club qu'ils ont rejoint dans le 14ème arrondissement de Paris... Quelle ne fut pas ma surprise quand je suis tombée ... sur Jean-Luc Barré !
J'ai la chance, depuis, de pouvoir être accueillie chaleureusement dans son club, le Kogakukan, dès que je suis de passage dans la capitale. Et c'est ainsi que j'ai osé demander à ce grand judoka un peu de son temps pour l'interviewer, pour que vous aussi, vous puissiez découvrir son parcours extraordinaire, sur le plan du judo autant que sur le plan humain. Atypique, grand baroudeur, Jean-Luc Barré trace son chemin comme il l'entend à travers les 5 continents de cette planète, avec son kimono comme passeport selon sa propre expression ! Mais à l'écouter, vous comprendrez aussi ce qu'il en coûte pour devenir un judoka de son rang...
ÉPISODE 1 : DE L'ÉCOLE CORREA À LEVALLOIS SPORTING CL
ARRIVER JUSQU'À LA FAMEUSE CEINTURE VIOLETTE
UNE VOISINE BAVARDE
J'ai commencé le judo le 15 septembre 1971, sans savoir ce qu'était le judo. Ma mère non plus ne savait pas ce que c'était. C'est vrai que dans les années 50 et 60, le judo était plutôt pratiqué par des adultes ou des adolescents. Il y a eu ensuite une mode, sans doute, qui s'est mise en place au début des années 70, pour que le judo soit accessible aux enfants.
Ma mère avait une très bonne amie, très bavarde, qui était toujours à l'affût de tout ce qui était nouveau et qui avait inscrit son fils au judo. Elle lui a conseillé de nous inscrire, mon frère aîné et moi, qui étions deux enfants un peu excités, un peu turbulents. Comme on habitait Courbevoie, ma mère est allée se renseigner au club le plus proche de notre domicile, au stade municipal. Ça s'appelait le CIO.
UN 1er COURS AUX 3 BANDES BLANCHES
J'ai la mémoire de mon premier cours parce que, comme l'année était déjà entamée, tout le monde était en kimono alors que moi, j'étais en survêtement Adidas. L'un de ceux qu'on faisait à l'époque, bleu marine avec de grosses bandes blanches... Si je l'avais encore, je le garderais en survêtement de collection ! J'étais très mal à l'aise parce que tout le monde était en blanc, avec un professeur d'une grande sobriété, bien coiffé, joli kimono, ceinture noire... quand il parlait, on entendait les mouches voler. Et moi, j'étais là avec ce survêtement Adidas !
DES AFFICHES QUI FONT RÊVER
J'ai tout de suite accroché. À vrai dire, ce n'est pas uniquement le judo. Dans cette salle, à Courbevoie, il y avait des affiches sur le mur qui représentaient le Japon. On voyait deux femmes en kimono avec des ombrelles face à face ; ce n'était pas le judo mais ça représentait le Japon. Il y avait aussi des posters de japonais en train de faire un mouvement sur la neige avec le Mont Fuji derrière. C’était évidemment les clichés du Japon … mais dans ma tête d'enfant, j’étais déjà transporté.
J'avais donc l'impression d'être dans une activité nouvelle mais aussi d'être dans un autre pays. C'est peut-être cet ensemble, cette atmosphère générale de la salle qui m'ont transporté et m'ont fait tout de suite aimer le judo.
Bien sûr, à 7 ans, on n'a pas les moyens de l'intellectualiser, ça ne reste que du ressenti. Mais, comme beaucoup d'enfants, on se laisse piéger par ce ressenti et je ne sais pas pourquoi j'ai continué, je n'ai jamais arrêté. D'ailleurs, en septembre dernier, c'était mes 50 ans de judo !
LES ANNÉES 70, LOIN DES JEUX D'ENFANTS
Le premier professeur que j'ai eu, de 1971 à 1973, s'appelait Philippe Lechap. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Si mes souvenirs sont bons, il était ingénieur et était pas mal pris par ses obligations professionnelles, ce qui l'a amené à laisser sa place à un copain à lui qui s'appelait Jacky Leverdez. Lui est parti en 75 pour aller à La Garenne Colombes. Quand il a quitté le club, j'étais ceinture bleue, j'avais donc 11 ans mais je ne méritais pas ma ceinture bleue, je n'avais pas le niveau. Jacky était un animateur, un meneur d'hommes, quelqu'un qui soulevait l'ambiance mais ce n'était pas un grand judoka ni un grand professeur. Disons que c'était un orateur, il avait du charisme ... Philippe Lechap et Jacky Leverdez ont été mes premiers professeurs mais ils ne m'ont pas marqué dans l'aspect judo, dans la valeur intrinsèque du judo, la valeur profonde du judo. Ils n'avaient rien de particulièrement marquant, c'était des professeurs normaux.
Pour le déroulement du cours, j'ai le souvenir d'un échauffement très classique : les bras, les articulations, la tête, des chutes arrière, latérales, avant... Il y avait le travail d'une technique et après, les randori. Pas de jeux comme aujourd'hui ! On restait vraiment dans la configuration classique d'un cours de judo ce qui, d'ailleurs, a déteint sur moi car c'est ce que je continue à faire dans mes cours.
L'ÉCOLE CORREA
En 1974, il y a eu une restructuration à Courbevoie. En plus des 2 clubs existants, le Courbevoie Sports et le CIO, s'est créé un nouveau club, en face de la mairie, qui s'appelait La maison des jeunes. Et à ce moment-là, c'était toute l'école Correa qui arrivait sur Courbevoie.
M. Correa a ainsi placé ses pions : Christian Livignac était au CIO, M. Correa était à Courbevoie Sports avec Jean-Jacques Blainville, et Didier Gauguet à La maison des jeunes.
Moi, j'ai eu deux de ces professeurs : Christian Livignac et Didier Gauguet qui, tous les deux, étaient de la même école. Et après avoir été l'élève des élèves de M. Correa, j'ai été l'élève direct de M. Correa parce que j'allais m'entrainer chez lui. J'étais très fier de faire partie de son école, c'était bien avant qu'il ait son club dans le marais. Ce qui est étonnant, c'est que maintenant, j'habite juste à côté de ce club. Je passe toujours devant avec beaucoup de nostalgie. M. Correa est décédé en 2000.
C'est surtout Christian Livignac qui m'aura tout appris, transmis tout ce que j'ai en ressentis en judo. Ce qui est drôle c’est que je l’ai rejeté, ce professeur, au départ. Il faut savoir qu’il avait un autre club à Paris, l'UPAM, où il avait des élèves qui étaient très forts, beaucoup plus forts que nous. Un jour, il est arrivé, il m'a vu et il m'a dit : « Toi, tu n'as pas le niveau de ta ceinture bleue. ». Ça manquait un peu de diplomatie ! J'étais vexé et, contrariés, mon frère et moi avons quitté ce club pour aller à La maison des jeunes avec Didier Gauguet. On n'y est resté qu’une seule année parce qu'au CIO, on avait tous nos copains.
UN PROFESSEUR DE JUDO CHERCHEUR
Par la suite, on s'est mis à aimer Christian Livignac. On a appris à le connaître. On a vu qu'il avait un franc parler, qu’il était direct mais profondément gentil et profondément passionné de judo. C'était un chercheur. On ne lui attribuera pas le titre de grand sportif ni de judoka mais celui de chercheur. Il a fait du tennis comme il faisait du judo, de la plongée pareil ; il faisait de la cuisine comme il faisait du judo. C’est à dire qu’il passait son temps à réfléchir. Il disait « J'ai eu une insomnie la nuit dernière, j'ai réfléchi et je me suis demandé pourquoi on ne ferait pas uchimata comme ça... ». A chaque fois qu'il venait, il avait quelque chose de nouveau.
Il nous a fait progresser et il m'a donné la fameuse ceinture violette à 13 ans, puisque j'étais trop jeune pour avoir la marron qui devait être délivrée à 14 ans seulement.
FAIRE DE LA COMPÉTITION... ET CHUTER !
ALLER SEUL EN COMPÉTITION : TOUT UN MONDE À AFFRONTER À 13 ANS
À cette époque, il y avait les compétitions USEP qui sont des compétitions scolaires. On faisait les championnats des Hauts-de Seine, d'Île de France… Mais comme le CIO était un club non affilié à la Fédération française de judo, Christian Livignac nous licenciait dans son autre club, privé, l’UPAM à Paris. De ce fait, même en étant à Courbevoie dans les Hauts de Seine, nous faisions le championnat de Paris en représentant l’UPAM. C'est là que j'ai commencé à faire les championnats de Paris benjamin, minimes, cadets, junior.
J'ai aimé ça tout de suite. Pourtant, on était un petit peu tendus parce que ce professeur nous envoyait en compétition mais ne nous accompagnait pas. Tous les compétiteurs que l'on rencontrait avaient leurs parents, leur famille, leur professeur ; ils étaient coachés. C'était un peu la foire d'empoigne, il y avait du bruit, et nous, on se sentait tout seuls, isolés, à combattre quelqu'un qui était encouragé bruyamment alors que nous, nous n’avions aucun encouragement. Il fallait donc se battre contre ça. On avait été un peu protégés dans notre petit cocon familial de judo et là, on était impressionnés.
C’est comme ça que les plus déterminés ont continué à faire de la compétition mais ce n'était pas la majorité. Beaucoup ont préféré rester tranquillement à faire leur cours de judo hebdomadaire. Moi, j’ai tout de suite aimé la compétition.
CLIVAGES ENTRE LES CLUBS : UNE HISTOIRE D'IDENTITÉ
Aujourd’hui, les clubs veulent avoir leur identité. Il y a les clubs qui sont un peu judo traditionnel ; beaucoup de clubs qui sont loisirs, basés sur le social ; des clubs compétition ; et puis des clubs mitigés qui sont un peu tout… Sans oublier d'autres qui sont plus option « école de judo » sans fermer la porte à la compétition.
À l'époque, il n'y avait pas encore une grande connaissance du judo et il n'y avait pas ces clivages. Le clivage, c’était plutôt entre le collège des ceintures noires et la fédération… D’ailleurs, M.Correa, pour marquer sa différence avec la fédération, avait appelé notre judo le « Junomichi », ce qui veut dire la même chose...
Pour Christian Livignac, c’était particulier. Il était élève de Correa, c’est vrai, mais un peu son élève turbulent. Du coup, son club était très compétition. Cela dit, il enseignait bien le judo, manière Correa… avec sa touche compétition ! Ses élèves se distinguaient bien sur les compétitions de Paris. Les judokas de l’UPAM nous cassaient la gueule au début, quand ils venaient à Courbevoie ! Mais après un an ou deux, nous avions rattrapé leur niveau. Ils sont devenus nos copains et on a vraiment fait un groupe UPAM.
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