J'ai rencontré Frédéric Bourgoin en 2021, lors de ma formation CQP. Très rapidement, j'ai découvert son dojo. J'ai envie de dire un "vrai dojo" : un lieu où nous sommes tous les bienvenus pour travailler, à tout moment. Un lieu où les pratiquants se croisent, s'entraident, avancent ensemble, tous âges confondus. Un lieu où l'on ne peut pas tout prévoir car la séance du jour va toujours dépendre de qui est là : la seule chose qui importe, c'est qu'on travaille et progresse. 
Merci Frédéric pour ton temps, sur cette interview mais aussi sur le tatami (et à côté !) auprès de ces milliers de judokas que tu as accompagnés et dont j'ai le plaisir de faire partie, aussi, aujourd'hui.


1. FRÉDÉRIC BOURGOIN : UN JUDOKA COMPLET

1.1 Technicien, compétiteur, professeur.

J’ai 60 ans cette année, je suis 7ème dan et j’ai commencé le judo à l’âge de 5 ans sous la direction de mon papa Michel Bourgoin qui a été plusieurs fois champion de France, également champion d’Europe et qui était capitaine de l'équipe de France. C’était un poids lourd… On peut dire que je suis pratiquement né sur un tapis de judo. Les arts martiaux, c’est donc ma vie.

J'ai eu une carrière de compétiteur même si mon père ne m'a jamais poussé pour faire de la compétition. Il m'a toujours laissé le libre choix. Comme le judo était une passion pour moi, partir tous les weekends en compétition me paraissait évident. À l’époque, notre club était assez fort puisqu’on a quand même fait 3ème par équipe en championnat de France juniors et que, pour ma part, j’ai été champion de France junior et plusieurs fois classé. Après, je me suis fait une rupture des ligaments croisés ce qui m'a éloigné un petit peu des compétitions. Je me suis très vite orienté vers l'enseignement parce qu’à l’époque, ce n’était pas évident de pouvoir être compétiteur et gagner sa vie. Il fallait avoir une activité professionnelle à côté et pour pouvoir s’entraîner, il n’y avait pas d'aménagements comme maintenant. 

1.2 Bases techniques et schéma d’attaque : les règles de Frédéric Bourgoin pour progresser

Sur ma progression en judo, il y a eu deux choses. D’abord, j'ai eu des bases techniques très bonnes, d’entrée, de par l'enseignement de mon papa qui avait un judo qui était vraiment bien construit avec un un vrai système d’attaque. C’était un judo dans quatre directions et ça, c'était la base. Bien sûr, sur les premières compétitions benjamins minimes, c'était vraiment du judo instinctif. J’attaquais un peu dans toutes les directions sans vraiment de schéma d’attaque.

Michel Bourgoin

Ensuite, au fur et à mesure des stages de préparation avec les équipes de France, j’ai découvert d’autres techniques et je me suis fait mon propre schéma d’attaque. 

C’est vraiment à partir de cadet que j'ai commencé à comprendre que je devais avoir un mouvement fort, qu'on appelle le tokui waza et tout ce qui tourne autour, c'est-à-dire ce qui va amener le tokui waza ou qui suit le tokui waza. C’est ce qu'on appelle les combinaisons, enchaînements ou confusions. C'est là que j'ai fait vraiment beaucoup de progrès. 

Pour enseigner par la suite, j'ai aussi fait avec le bagage technique de base que j'avais reçu de mon papa et de toutes les formations à l’extérieur que j’avais suivies. Pour les stages de préparation avec les équipes de France, on avait, à l’époque, différents intervenants techniques dont beaucoup de Japonais qui venaient pour enseigner leur mode de judo. Pour moi, le judo japonais est vraiment le meilleur au monde. Mais même les intervenants français amenaient toujours une petite chose supplémentaire. Et ce sont ces petites briques que tu rajoutes au fur et à mesure et qui te donnent un grand mur dans lequel tu peux piocher pour pouvoir ensuite enseigner.

Au final, je dirais que c’est vraiment d’avoir eu beaucoup de stages qui m’a fait progresser. 

2. LA PÉDAGOGIE DE FRÉDERIC BOURGOIN 

2.1 Des enfants aux adultes

Pour les débutants, l'enseignement pour les enfants n'est pas le même que pour les adultes. Un enfant est comme une éponge : tu donnes et ils absorbent. Pour eux, il faut que ce soit ludique. Mon enseignement est donc basé sur un système de jeux qui font progresser sans que les enfants s’en rendent compte. Apprendre les immobilisations, les gardes, chuter… Ils s'amusent et progressent. 

Avec les adultes, la problématique est différente. Ils viennent avec une intelligence et ils veulent comprendre pourquoi et comment ça fonctionne, les différents principes. 

2.2. Le minimum exigible

J'ai une trame qui correspond aux minimums exigibles par ceinture, avec un certain nombre de techniques à connaitre. Par exemple, si je prends le cas d'une ceinture blanche, il doit connaître Kubi nage, O goshi, O soto gari, De ashi baraï… Il doit savoir faire ses trois gardes : la garde mixte, la garde à droite et la garde à gauche. Il doit aussi connaitre sa chute arrière ainsi qu’un certain nombre de noms en japonais.

J’enseigne toujours les noms en japonais pour les enfants. Comme je le disais, ce sont des éponges donc il suffit de répéter la terminologie pour qu’elle rentre facilement. Dans les programmes supérieurs, on révise toujours la terminologie des programmes précédents. Arrivés ceinture marron, ça n'est que de la révision. J'ai formé plus de 250 ceintures noires…  donc j’ai quand même un peu de recul qui me permet de dire que ça fonctionne.

2.3 Les fiches techniques

Pour les passages de grade, je ne procède pas comme la majorité des clubs. Les enfants ont une fiche technique dès le départ et lorsqu’ils maîtrisent une certaine partie de cette fiche, par exemple les projections, ils demandent à passer à la fin du cours. Je me mets alors dans un coin et je le fais passer. C’est toujours l’enfant qui demande lorsqu’il sent qu’il est prêt. Bien sûr, il y en a parfois qui sont un peu timides alors si je vois qu’ils sont prêts, je les encourage à demander. Donc finalement, j'ai des passages de ceinture toutes les semaines. Lorsque le programme est validé, par exemple celui des projections, je le date et je le signe. Plus tard, cet enfant pourra demander à valider son programme au sol que je vais à nouveau dater et signer. Je valide les noms en japonais et les connaissances techniques et quand toute cette feuille est signée : il change de ceinture. C'est vraiment tout le long de l’année au fil des séances. Je pars du principe qu’un élève qui vient une fois par semaine progresse moins vite que celui qui vient trois fois par semaine. Donc ça ne serait pas logique de faire un passage de grade par an. Je préfère suivre les élèves individuellement et je vois ceux qui progressent plus vite. Je respecte aussi l'âge requis pour passer les ceintures de façon à ce qu’ils aient 14 ans pour la ceinture marron et 15 ans pour aborder la ceinture noire. 

2.4 entraide et prospérité mutuelle

Cours de judo de Frédéric Bourgoin avec une pédagogie par atelier

Pour que ce système soit possible, mes élèves sont capables de bosser en autonomie. J’utilise le principe de la prospérité mutuelle en faisant des groupes avec les plus gradés qui aident les moins gradés. Cela met en valeur les plus gradés, les plus grands… Et le discours entre enfants est souvent beaucoup plus simple que de l’adulte à l’enfant. Ils se comprennent plus facilement entre eux.

Je fonctionne de la même façon pour les adultes. Il faut bien penser que lorsqu’on est adulte et débutant, à débarquer dans un cours de judo, on est un peu isolé… Alors ce système d’atelier, ça crée de la relation avec d'autres pratiquants et ça intègre tout de suite. Dès les premiers cours, je demande à un plus gradé d'aider tel débutant à faire sa chute arrière ou tel mouvement par exemple. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai énormément d'adultes par rapport à d'autres clubs.

2.5 Rechercher et intégrer

De mon point de vue, si on t'amène tout sur un plateau, ça va être très simple mais tu ne vas pas l’intégrer. Regarde les mots croisés : si pendant une semaine tu cherches la solution sur une définition, le jour où tu la trouves, tu la retiens à vie. En judo, c’est pareil. Le principe, c'est que moi, je vous aiguille… Mais c'est à vous de trouver la solution. Par exemple, un élève qui n’est pas bon au niveau du kumikata ou au niveau de la technique, qui ne fléchit pas assez, ne tourne pas assez… Ce sont des choses que l’on répète, que l’on ressasse. Si cet élève corrige un autre sur ces points, il va pouvoir réaliser qu’il fait les mêmes erreurs et se dire qu’il ne fléchit pas assez ou ne tourne pas assez lui-même. C’est comme ça qu’il l’intègre. Il comprend pourquoi ça fonctionne ou pourquoi ça ne fonctionne pas : quand tu vois quelqu’un qui est dans l’erreur, tu es capable de le corriger et cette correction, tu l’intègres pour toi-même.

C’est du travail de découverte qui fait progresser. Ça fonctionne par petits verrous que tu déverrouilles au fur et à mesure. « Tiens, là je suis plus fléchi, ma main est mieux placée et mon mouvement passe mieux… »

J’essaie vraiment que, même pour les petits, il y ait cet échange parce qu'on ne peut pas progresser tout seul. C'est un sport dit individuel mais on ne peut pas progresser si on n’a pas une équipe autour. C’est cette entraide qui va permettre de progresser. 

2.6 Le suivi personnalisé

Avec les feuilles techniques, je sais exactement où en est chaque élève, c'est-à-dire que je vois, par rapport au programme que j'ai signé, où en est chacun dans sa progression. Comme j'ai des élèves qui ne viennent qu'une fois par semaine, d’autres deux fois et même certains trois fois par semaine, je ne peux pas faire un cours à l’identique. Je suis obligé de faire du cas par cas mais je sais exactement où en sont mes élèves. Je fais des petits groupes, de trois judokas par exemple, en leur disant de réviser telle partie du programme. 

Cours de judo avec Frédéric Bourgoin, randori ne waza

Après, je fais un un travail d’ensemble. Je fais faire beaucoup d'exercices basiques tels que  kakari geiko ou yatsuku geiko. Le randori ne vient vraiment qu'à la fin. Le but est de progresser en ayant des sensations, que ce soit au sol ou debout. Si on laisse les débutants ensemble, ils vont essayer de faire randori mais ils vont être en opposition. Ils vont être en force et rien ne va en sortir. Alors que si tu en mets un qui est dans l'attaque et l'autre dans la défense, ça permet d'échanger beaucoup plus facilement. 

3- CONSTRUIRE SON JUDO AVEC FRÉDÉRIC BOURGOIN

3.1 L’importance d’avoir un Tokui waza

Le problème qu'on a, actuellement, dans le judo français par rapport à d'autres judos, c’est qu’on ne travaille pas assez sur sur le spécial, la technique favorite.

Uchimata du judoka Inoue en compétition

Nos judokas ont un judo instinctif où ils attaquent dans toutes les directions mais ils n’ont pas un judo construit. Je prends le cas de Kosei Inoué : tout le monde sait qu'il fait uchimata et pourtant, quand il le passe, il le passe. À chaque fois. Et à chaque fois tu le sais qu’il va faire uchimata mais tu le prends quand même. Parce qu’il a le kumikata qui fait qu’il est bien placé. Il a différentes formes d'entrées qui permettent de le faire en fonction des différents temps. 

Je pars du principe qu'un judoka, quand il fait un bon mouvement de judo, ça ne doit pas se sentir. L'adversaire peut faire 120 kg ça ne change rien. Moi, à l’époque, je faisais 65 kg et je faisais les championnats toutes catégories, ça ne me posait pas de problème. J'avais un un Tukui waza qui était très fort et que le gars fasse 90 kg ou 100 kg, ça ne me posait aucun problème. S’il y a un judoka qui exprime le judo tel qu'il doit être fait, c’est Angelo Parisi. Peu importe l'adversaire qu'il avait, il passait sa technique. C'était extraordinaire ! En finale des Jeux Olympiques de Moscou, il atomise le soviétique Zaprianov sur un seoi otoshi d’antologie ! C'est vraiment le judo en déplacement, le judo avec une technique forte.

3.2 Travailler son Tokui waza

S'imposer une discipline...

Parfois, j'impose ne serait-ce qu'un seul mouvement pendant une soirée. Par exemple, j’impose O uchi gari. Au Japon, ils travaillent comme ça : ils vont apprendre O uchi gari pendant un an. Au bout d'un an, ils savent faire O uchi gari. Quand j'étais à l’INSEP, je m'imposais ce travail. Mon mouvement fort était Tai otoshi. J’ai d’ailleurs eu une rupture des ligaments croisés sur un ta otoshi où l'adversaire m’est tombé sur le genou. Ça m’a explosé les ligaments donc j'ai dû changer. J’ai fait Haraï goshi ou Uchimata et, en étant sur un appui, j'avais moins de problème pour l'articulation du genou. Autour de ça, j'ai greffé mon judo avec les différentes directions. Mais ça m’arrivait, à l’INSEP, de ne faire que O soto gari pendant un mois ! Alors c'est vrai que les premières semaines, je prenais des gamelles. Mais je m’empêchais de faire autre chose et au bout de 15 jours, c’est moi qui commençais à mettre des gamelles sur O soto gari. Et à la fin du mois, je prenais tout le monde sur O soto gari. Il faut avoir ce mental et cette démarche de dire que pour progresser, il faut faire comme un golfeur. Pendant des heures et des heures, faire le même swing avec un seul club pour arriver à 50 cm du drapeau. Il connait le geste mais il faut avoir cette méthodologie pour toujours avoir le même, et dans le même timing, pour arriver le plus près possible du drapeau.

... et constater les progrès !

C’est la même chose en judo. Pour les jeunes que je prépare à la compétition, je leur donne cette ligne de conduite. Je leur dis : faites un mouvement avant et un mouvement arrière pendant un mois. Que ça. Au bout d'un mois, même au bout de 15 jours, vous allez commencer à voir des progrès. Il va y avoir des petits verrous qui vont sauter au fur et à mesure. C’est la pratique qui permet de faire des progrès. Mais il faut, pour moi, ce schéma de travail où on s'impose quelque chose.

Les japonais travaillent dans tous les domaines. Il y a des filles qui sont très fortes en ne waza parce qu'on a mis l'accent sur le ne waza et donc elles sont capables de gagner tous leurs combats au sol. Elles ne se sont concentrées que sur un truc pendant une période et du coup, quand elles le font, elles le font super bien. C’est pareil chez les garçons ! 

3.3 Le système d’attaque

Comme le judo a été construit dans quatre directions, si je ne pouvais pas faire tel mouvement, j'en avais encore trois autres à ma disposition pour pouvoir travailler. Je pouvais donc passer d'un mouvement à l’autre, que ce soit en combinaison pour amener mon spécial ou en enchaînement, après mon spécial, si ça ne fonctionnait pas. Liaisons debout-sol incluses bien sûr.

Frédéric Bourgoin fait la technique de judo Uchimata

La combinaison, c'est la technique préparatoire qui va amener ton tokui waza. Par exemple, je fais Haraï goshi. Je vais faire plusieurs fois O uchi gari pour faire réagir et quand j'ai une bonne réaction, je fais O uchi Haraï goshi et ça marche très bien.

L’enchaînement, c'est différent. Je fais Haraï goshi, il y a résistance et ça ne passe pas, je vais alors enchaîner sur O uchi gari. 

Ton tokui waza est vraiment ta technique la plus forte. Les techniques pour les autres directions sont là pour compléter. Cela dit, il y a des judokas qui ont deux tokui waza, d’autres en ont trois mais là, ce sont vraiment de très très grands judokas.

Je prends le cas du Japonais Maruyama, lui est capable d'avoir trois ou quatre mouvements très forts. D’ailleurs la seule différence par rapport à Abe, c'est qu'il manque un peu de mental. Abe a un judo qui est beaucoup plus physique et moins technique que Maruyama… Si Maruyama avait le mental d’Abe, il serait triple champion olympique ! C'est uniquement une question de mental parce qu’au niveau judo, il est capable de faire Uchimata, O soto gari, Seoi nage … Il a un judo qui est très complet.

3.4 Déplacements et placement

On travaille aussi beaucoup sur les déplacements parce que le judo, ça ne se fait pas en statique. Ça se fait en déplacement. Donc c’est un travail très important. Quand l’adversaire est en déséquilibre, tu ne dois pas le sentir. Le placement est hyper important : on doit être sous le centre de gravité de l’adversaire. C’est d’ailleurs ce que j’explique aux enfants avec des petits jeux et ils comprennent très bien que s’ils sont sous le centre de gravité de leur partenaire, le mouvement passe beaucoup mieux. 

Seoi nage démontré par Frédéric Bourgoin avec le centre de gravité
Exercice judo de traction avec la ceinture par Frédéric Bourgoin

Après, il y a tout un travail de traction. Le kumikata, le tsurité, l’hiquité : j'ai plein d'éducatifs pour que les adultes apprennent ça. Avec la ceinture, on fait des tractions au sol par exemple pour qu'il ressentent cette action des mains, des bras, qui vont permettre de mettre le partenaire ou l'adversaire en déséquilibre. On ne peut pas faire judo s'il n’y a pas cette notion de déséquilibre ! 

Le problème du judo actuel, c'est qu’on l’apprend en statique mais on ne le fait pas en déplacement. C'est pour ça que je fais beaucoup de Kakari Geiko où il y en a un qui attaque et l'autre qui défend. Ça reste ouvert. Tori sait que de toute façon, il n’y a pas de risque de se faire contrer et que l'autre ne va pas attaquer. Il va donc pouvoir travailler son judo, le construire à partir de son mouvement fort.

3.5 Le kumikata

De temps en temps, je fais des séquences pour tout le monde, par exemple un travail sur le kumikata. Il y a une manière de prendre le kumikata, c’est ce que j’explique au départ. Ensuite, je les laisse essayer avec leurs connaissances et j’apporte, à chaque fois, une solution au problème rencontré. Pourquoi j'arrive à poser ma première main, pourquoi je n’y arrive pas… Comment je fais pour poser ma deuxième main… Parce que le kumikata, c’est comme les déplacements. On ne peut pas faire un bon judo si on n’a pas un bon kumikata. Il faut donc en passer par là, surtout dans le judo compétition ! 

Citation judo : un bon kumikata, c'est ce qui te permet de faire ton judo dès que tu as les deux mains posées.

Moi, j'ai plus de pratiquants qui font du judo loisirs mais j’ai entraîné pendant des années la section sport étude d’Amiens qui est maintenant devenue Pôle France. Et la problématique, c'est que je ne peux pas faire mon judo si je n’ai pas un bon kumikata. Qu'est-ce qu'un bon kumikata ? C’est un kumikata qui te permet d’être capable, à partir du moment où tu as les deux mains sur le judogi, de faire ton judo. C'est un kumikata qui t'ouvre la porte sur tes techniques, qui te permet de passer ton tokui waza.

3.6 Adapter son judo

Le kumikata que tu vas installer doit être en adéquation avec ta technique favorite de manière à pouvoir l'effectuer dans de bonnes conditions. Ce n’est pas toujours évident parce qu’il faut aussi être capable de travailler à une main… Mais c'est vrai que je me rappelle ma période de compétition : si j'avais mes deux mains, si j'avais mon kumikata, c'était sûr que je plantais mon adversaire. C’était certain et je le savais. Mais je travaillais pendant des heures et des heures pour pouvoir poser mes deux mains au bon endroit. 

Le problème droitier droitier ou gaucher gaucher, c’est qu'on se gêne mutuellement donc il faut trouver des solutions alternatives pour pouvoir outrepasser ce problème de garde identique. Droitier droitier ou gaucher gaucher, ça pose toujours des problèmes. En tant que compétiteur, j'étais comme la plupart des gauchers à savoir que quand on tombait sur un autre gaucher qui était fort, c'était compliqué. Gaucher contre gaucher c’est difficile alors que droitier-droitier, il y a plus de facilité du fait que ça court les rues. Donc face à un gaucher, j'étais obligé d'adapter mon judo par rapport à cette garde gauchère. Je n'avais pas tout à fait les mêmes mouvements pour pouvoir passer sur un gaucher. Si je ne pouvais pas avoir ma garde, je changeais un peu. Parce qu’en garde emboîtée, il y a forcément un dominant et un dominé. Je travaillais donc dans les deux types de situations. Si j'étais en garde dominante, je faisais mon O soto gari ou O soto otoshi et je travaillais en même temps un petit peu sur Haraï goshi. Si j'étais en garde dominée, je faisais beaucoup Ko uchi gari et Seoi nage de manière à pouvoir passer sous la garde.

3.7 Le judo : une discipline technique

Il y a des petits pays émergents comme le Tadjikistan, l’Oubékistan ou Israël, qui sortent des champions. D’abord, ils ont l'envie de faire du judo. En plus, ils envoient leurs compétiteurs dans tous les stages internationaux où ils sont confrontés à d'autres judos. Aussi, ils ont une base judo qui est excellente. C’est à dire qu’ils ont une forme technique qui a été beaucoup travaillée sans opposition.

Citation judo de Frédéric Bourgoin : le judo est une discipline technique bien plus que physique.

En France, on est malheureusement plus orienté sur la préparation physique. On va faire beaucoup d'heures en musculation mais ce n’est pas ça qui va faire progresser le judo. Le judo reste une discipline technique. Si on prend le cas du saut à la perche, l'athlète peut faire 250 kg au développé-coucher ou 500 kg en squat, s'il n’a pas le geste technique pour passer la barre, il ne la passera pas ! Quand tu vois le champion actuel qui passe plus de 6 m, il a une technique qui est parfaite ! Alors qu'il n’est pas démesurément physique.

C’est le même principe au judo. Il ne s’agit pas d'être fort musculairement mais plutôt d'être fort techniquement. Actuellement, ceux qui sortent au niveau international, ce sont des judokas qui sont forts techniquement.

4- PROGRESSER DÈS LA CEINTURE BLANCHE

4.1 Apprendre à chuter

Le problème des chutes en France

Pour les adultes ceintures de couleur, mon premier conseil serait vraiment d’apprendre à chuter. C'est la règle de base. À partir du moment où on n’appréhende plus la chute, on peut progresser. On a plein de judokas adultes qui sont handicapés par cette appréhension ou qui n'osent pas aborder le judo tel qu'il devrait être fait parce qu'ils ont peur de chuter.

Et je parle pour les débutants… mais dans tous les stages que j'encadre depuis des années, je trouve énormément d'adultes qui sont même ceintures noires voire plus et qui ont peur de chuter ! Parce qu'on ne leur a jamais appris donc finalement ça handicape toute leur vie de pratiquant. En France, on a un gros problème avec les chutes.  

Les conséquences néfastes quand on chute mal

Citation de judo de Frédéric Bourgoin : En judo, le plus important est d'abord de savoir chuter. Sans appréhension, tu peux tout faire.

En fait, beaucoup pensent qu’ils savent chuter mais en réalité, un mauvais placement fait répéter de micro-traumatismes et peuvent amener, à la longue des douleurs. Il y a aussi certains gradés qui chutent mais qui ont constamment une petite appréhension qui fait qu’ils se crispent. Ils ne le disent pas bien sûr… c'est tabou. Mais ce n’est pas agréable, ni pour eux ni pour leur Tori. Il y a des techniques comme Sasae ou Taï otoshi par exemple où il est important de savoir bien chuter. Sinon, c'est un frein à la progression car tu ne peux pas être libre dans ta pratique et tu vas gêner la progression de ton partenaire également. 

APPRENDRE À CHUTER

J’ai cherché pourquoi ça ne fonctionnait pas pour beaucoup de judokas et en fin de compte, j’ai compris que c’était simplement une question de programmation de trajectoire. Il suffit de faire quelques exercices d'uchikomi répétitifs où on fait chuter toujours dans la même direction avec les mêmes repères visuels. C’est en visualisant la trajectoire de façon accompagnée au départ qu’après, tu es capable de chuter sur n’importe quelle technique. Parce qu’à chaque fois, c'est exactement la même chute circulaire.

Comment la secrétaire de la fédération suédoise est devenue ceinture jaune 

Je prends un exemple. Il y a quelques années, je vais encadrer un stage pour la Fédération française de judo en Suède sur les schémas d'apprentissage pour le judo adulte, ce qui était une commande de la Fédération suédoise. Il doit y avoir peut-être 8000 licenciés, c’est une petite nation. Je commence par aborder le travail des chutes et il y avait tout le staff technique c’est à dire l'entraîneur national, l'équipe nationale de Suède, le président de la Fédération, la vice-présidente et la secrétaire qui était ceinture blanche. Ils étaient tous sur le tapis et j'ai pris la secrétaire de la fédération suédoise pour la faire travailler sur les chutes, avec cette visualisation de la trajectoire. Ils ont tous ouvert des yeux extraordinaires parce que cette femme, ceinture blanche, pouvait chuter dans toutes les directions 5 minutes après. Elle n’avait plus cette appréhension et ça m'a pris 5 minutes. D’ailleurs, le soir même, il y avait un repas de gala pour la fin du stage et le président de la Fédération a remis officiellement la ceinture jaune à la secrétaire. C’était génial de voir ça !

Commencer dès les premiers cours

Apprendre à chuter en judo avec Frédéric Bourgoin

Il y a beaucoup d'adultes qui arrivent ceinture blanche dans mes cours. Je commence dès le départ par les chutes basiques : arrière, avant à droite avec les mains posées à gauche et vice versa. Puis, comme on apprend les projections, je demande souvent aux plus gradés de faire nagokomi avec les ceintures blanches, lentement, de manière à ce que les débutants intègrent la trajectoire. En plus, en tant que Tori, les plus gradés sont à même de savoir si le partenaire passe sur le côté ou bien dans l’axe. Automatiquement, il y a cet échange. Après, quand ils n'ont pas l’appréhension de la chute, on peut tout faire.

4.2 Enseigner le Tokui Waza

Travailler avec une contrainte

Se contraindre à une seule technique et du coup « oublier » un peu le reste, ça se fait quasiment dès le début ou, disons, dès qu’on commence à avoir les bases en techniques de projection. Je fais des séances à thème où j’impose une seule technique dans le kakari geiko et dans le yaktsuku geiko. De cette façon-là, chacun commence à développer son tokui waza. Et c'est pareil en jujitsu ! Quand on fait des randori jujitsu, j'essaie d’imposer une seule technique avec laquelle se défendre sur les différentes attaques, dans plein de situations. Et c'est à force de pratiquer qu'on commence à avoir des automatismes. 

S'appuyer sur ses sensations

Cours de judo avec Frédéric Bourgoin

À partir de la ceinture verte, on peut rentrer un petit peu plus dans le détail parce qu'il y a déjà un bagage technique plus important. Mais dès le départ, les débutants vont avoir des sensations assez rapidement. Ils vont sentir que ce mouvement-là, ils le ressentent bien. Ils découvrent la technique qu’ils aiment bien. Ils continuent quand même à travailler les autres techniques bien sûr… 

Mais pour leur spécial, ce sont des sensations que eux vont avoir. Je ne peux pas leur imposer. Je pars du principe qu’en tant qu’enseignant, je dois faire avec les moyens du bord.

Évoluer dans son tokui waza

Le tokui waza peut changer en grandissant puisqu’au niveau morphologique, le gamin que tu as de 8 ou 9 ans et qui fait 1m50, ce n’est pas vraiment le même que celui que tu vas retrouver à 17 ans avec 1m90. Il y a forcément des changements… De par sa morphologie, il va peut-être aller vers d'autres mouvements qu'il ne maîtrisait pas ou même auxquels il n’avait jamais pensé avant.

4.3 Faire avec les moyens du bord

S'adapter à la morphologie

J'ai commencé le golf assez tard et j'avais un prof de golf qui voulait impérativement que j'ai un swing académique : monter mon bras gauche tendu ce que je ne peux pas parce que musculairement, je suis tellement tonique que je ne peux pas. Je lui ai expliqué et il voulait absolument m'imposer ce swing alors que c’était impossible. Par contre, en faisant avec les moyens du bord, je monte moins haut mais  je tape plus vite.

Citation de judo de Frédéric Bourgoin : Le principe est de savoir s'adapter en fonction de ses capacités physiques.

 Je pars donc du principe qu’en fonction de ses capacités physiques, on doit s’adapter. Un judoka grand va plutôt travailler sur des Ashi waza plutôt que sur des Te waza ou des Koshi waza. En tant qu’enseignant, je m'adapte aussi en fonction des sensations de mes élèves, de leurs qualités motrices et physiques. Si dans mon judo, je fais Haraï goshi de telle manière, je ne vais pas imposer de le faire de la même façon. Bien sûr, il y a tout de même des principes de base comme la flexion, la traction, la bascule et ça, on ne peut pas y couper. 

Quand je fais une correction, je laisse travailler l’élève sur plusieurs répétitions… Je ne fais qu’aiguiller. Si je donne trop de consignes à mes élèves, ils ne vont pas les capter. Il vaut mieux en donner une bonne et après, on ajuste.

 Je suis toujours obligé de m'adapter par rapport à ce que je vois et je donne consigne par consigne.

4.4 Se préparer à la compétition

Le plaisir avant tout

Citation de judo de Frédéric Bourgoin : La première règle à appliquer pour un compétiteur, c'est de prendre du plaisir.

Pour les compétiteurs, jeunes ou moins jeunes, la première chose est de prendre du plaisir. Quand je prépare cette jeune senior pour les jeux olympiques, je le lui dis : "si tu fais cette préparation physique et technique pour les Jeux Olympiques, il faut que tu y prennes du plaisir. Si tu y vas avec des semelles de plomb, ce n’est pas la peine ». C'est la règle principale pour moi. 

Varier les partenaires et suivre une ligne de conduite

Au niveau compétitif, il faut multiplier les partenaires pour avoir différentes expériences mais le plus gros travail, c'est le travail personnel, c'est-à-dire s'imposer cette ligne de conduite et cette ligne de travail qui dit que si je veux être fort sur telle technique, il faut qu’à un moment donné, je consacre du temps sur cette technique. 

Citation de judo de Frédéric Bourgoin : Travaille le même mouvement pendant 1 an jusqu'à la perfection.

C’est ce que font les japonais : ils vont travailler le même mouvement pendant 1 an et ils le font à la perfection. La ligne de travail peut aussi être par rapport à un secteur, par exemple, je ne maîtrise pas gaucher-gaucher donc je vais devoir travailler qu’avec des gauchers pour progresser et comprendre ce que je dois faire quand je tombe sur un gaucher. C’est sûr que ce n’est pas en allant dans la facilité qu'on arrive à progresser mais au contraire, en allant chercher la difficulté.

Je me rappelle qu’en tant que gaucher, j'avais plein d'adversaires qui préparaient les championnats et qui venaient me chercher en randori parce que je leur posais problème. Ils avaient donc cette démarche d’aller chercher des forts pour progresser dans des situations qui leur posaient problème.

S'adapter à l'adversaire

Lorsque le combat commence, déjà dans la prise de kumikata, tu vas savoir s'il est droitier ou gaucher ainsi que les premiers mouvements qu'il va tenter. Ça te donne des informations et il faut faire avec. L’expérience des randori doit te permettre de te rappeler que tu as déjà vécu telle situation et que tu dois donc la traiter comme ça… C'est comme un joueur d'échec qui va répéter des milliers de combinaisons et le jour où il tombe sur cette combinaison, il a déjà la solution. Donc finalement, plus tu as répété en amont, plus ta phase d'observation est courte parce que ça va faire appel à une situation que tu as déjà travaillée.

Après, le judo, ça se fait avec intelligence. Je prends l'exemple d’un petit jeune qui fait une compétition. Il fait O soto gari et se fait contrer une fois. Il rattaque O soto gari et se fait contrer pour la 2ème fois. Là, il n’a pas réfléchi !  Il se fait marquer wazari une 1ère fois sur un contre et il ré-attaque la même technique ! Donc ça, c’est important de comprendre ses erreurs pour savoir comment on peut faire pour progresser.

S'entourer des bonnes personnes

Citation de judo de Frédéric Bourgoin : Entoure-toi des personnes qui te permettent de progresser, dans lesquelles tu as confiance.

Il faut savoir s'entourer des bonnes personnes qui vont te permettre de progresser. Trouver un technicien qui est capable de te faire comprendre pourquoi ça fonctionne ou pourquoi ça ne fonctionne pas. Qu'est-ce qui est à changer et qu'est-ce qui est améliorer ? Ça passe par des éducatifs de base qui sont uchikomi, nagekomi, kakari geiko, yatsuku geiko et randori. 

Les randoris ne viennent qu’à la fin, surtout en France où nos randoris se rapprochent beaucoup plus du shiaï, de l’opposition, que du randori ouvert qu'on peut trouver avec les Japonais par exemple. Là-bas, quand on fait du judo, on tombe, ce n’est pas dramatique ! Par contre, on essaie de faire tomber l’autre… Alors qu’en France, je parle d’un point de vue général, les judokas font du judo pour ne pas tomber. En fait, la démarche devrait être de chercher constamment à faire tomber. Ce n’est pas grave de tomber à l’entraînement ! Si tu arrives, pendant ton randori, à mettre deux ou trois ippon, là tu peux faire des progrès. Malheureusement, on observe souvent des randori où on s’oppose, on s’annule en quelque sorte et il n’y a rien qui sort de concret.

Avec un technicien, tu dois pouvoir comprendre pourquoi ta technique ne fonctionne pas. Parfois, ce n’est pas grand-chose, c'est une saisie, c'est un kumikata, un manque de flexion, un manque de rotation… Il faut un oeil extérieur. Si on n’en a pas, il ne faut pas hésiter à regarder un petit peu en dehors de son club ou poser des questions peut-être au judoka qu'on aime bien…

Le travail vidéo

Le travail en vidéo est important aussi. Je me souviens d’un élève, un adulte, qui ne comprenait pas : je lui disais qu’il ne fléchissait pas assez sur son mouvement mais m’assurait que si, il fléchissait. Je l’ai donc pris en vidéo et là, il a été stupéfait de constater que sa ceinture était 3 km au-dessus de celle de son partenaire ! C’était donc impossible de projeter. De se voir a été un déclic.

C’est en ça que le travail en vidéo est important. Souvent, tu penses que tu es bien placé et puis quand tu te regardes, tu vois que pas du tout. Tu peux voir tout ce qui ne va pas. Mais pour cela, il faut aussi apprendre à accepter de se regarder et comprendre quelles sont les erreurs, ce qui ne va pas. La vidéo, ça ne pardonne pas.

5. ENTRAÎNEUR, PROFESSEUR, JUDOKA : LES DÉFINITIONS DE FRÉDÉRIC BOURGOIN

5.1 Le rôle du professeur

Le rôle du professeur, c’est d’utiliser le vécu qu’on a depuis des années d'enseignement pour trouver là où il y a une petite faille et trouver le meilleur moyen pour faire progresser. C’est l’expérience qui parle en regardant le judoka. Par exemple, j'ai une petite jeune qui prépare les Jeux Olympiques avec le Gabon et elle ne se rend pas compte qu'elle a un judo de gauchère. Parce que je l'ai observée, maintenant, elle est en ambidextre. Elle travaille à droite et à gauche. Elle n’est pas encore suffisamment forte à gauche mais elle va le devenir et elle sera très forte à gauche. Elle ne l’avait jamais ressenti. Moi je l’ai vu de par sa posture…

Seoi nage démontré par Frédéric Bourgoin avec le centre de gravité

C’est vraiment le rôle du professeur ça. Le professeur a eu des centaines ou des milliers d’élèves… Moi je ne compte plus les élèves que j'ai depuis des années ! Avec les scolaires qui ont découvert le judo par l’intermédiaire de l’école… Cela fait donc un panel de référence qui est important. C’est une expérience visuelle qui fait que, lorsque je vois un judoka, je vois tout de suite ce qui ne va pas. 

5.2 Le rôle de l'entraîneur

Être entraîneur, c’est un peu différent. Un entraîneur n’a pas forcément ce panel représentatif car il travaille avec la même typologie de public. Il va être plus performant sur des secteurs bien précis comme le kumikata, les liaisons debout-sol… Chaque judo est différent, chaque champion ou championne est différente. 

Je prends l'exemple de Fabien Canu. Le système d'entraînement de l’INSEP à l'époque ne lui convenait pas parce qu'il n’avait pas besoin d'une charge de travail aussi importante avec autant de randoris. C’est en quittant l’INSEP et en repartant dans son petit club qu’il a été très très fort. 

5.3 Faire du cas par cas

C'est pour ça qu’il y a beaucoup de petites nations avec peu de judokas qui sortent : quand il y a un potentiel, on s'occupe de cette personne-là et on va tout faire pour le faire progresser. Nous, on a un vivier important, on travaille dans la masse et on n’individualise pas assez.

On est obligé de faire du cas par cas. Si je prends l'exemple de la natation, on voit leur progrès au niveau national parce qu’à un moment, on s'occupe d'une personne. On sait ce qu'il faut faire pour que cette personne progresse plutôt que d'en prendre 10 d'un seul coup. Il y a l'exemple de Laure Manaudou que Philippe Luca a sorti de l'ombre mais ce n’est pas la seule, il en a sorti d’autres. Quand il s'occupe de telle personne, il sait exactement dans quel domaine il faut la faire progresser. Ça, c'est le rôle de l'entraîneur à partir du moment où l’on a des compétiteurs qui ont les bases techniques, ce qui est le rôle du professeur.

5.4 Où sont les écoles de judo ?

Dans le Judo français, à mon avis, les professeurs ne forment pas suffisamment bien au niveau des bases techniques, ce qui fait que quand les jeunes arrivent dans les structures spécialisées, en pôle, ils ont des grosses lacunes. 

À mon époque, on savait très bien de par le style de judo ou de par la forme de corps d'où venait le compétiteur. Lui venait de chez tel professeur parce qu'il avait un style de judo particulier. Lui avait une telle technique qu’on savait d’où il venait. Il y avait vraiment une marque de fabrique. 

Cours de judo avec Frédéric Bourgoin

Maintenant, quand on regarde un judoka au haut niveau français, on ne sait même pas d'où il vient. Je ne vais pas dire que c'est un judo stéréotypé mais disons qu’on a perdu les grandes écoles de judo qu’il y avait autrefois.

5.5 Une relation de confiance

Dans tout ça, il y a la question de la relation entraîneur entraîné ou professeur élève. C'est un duo et une question de confiance. Si ça se passe bien avec telle personne, ce n’est pas la peine d'aller voir ailleurs. On a plein de disciplines ou sport où ils ont besoin de ces personnes au bord du terrain parce qu'on a confiance en elles, parce qu’on sait que ses conseils sont bons. Ça ne sert à rien de multiplier les expériences à droite et à gauche : tu vas avoir 10 sons de cloche… Mieux vaut trouver la bonne personne en qui tu as confiance et celle qui va te permettre de progresser. Je le vois aussi chez mes élèves : à un moment donné, ils ont confiance avec tel ou tel adulte qui va les aider à progresser parce qu’une relation s’est créée entre eux deux. Ça peut être par le gabari, par différents centres d'intérêt en commun… Ça crée un duo et ce duo permet de progresser.

5.6 CE QU'EST UN BON JUDOKA : LE REGARD DE FRÉDÉRIC BOURGOIN.

Un bon judoka, c'est quelqu'un qui est capable de dire en compétition : « lui, je vais le faire tomber sur telle technique ». Ça, c'est extraordinaire.

Fukami judoka

Massanori Fukami

Il y a de nombreuses années, il y avait un très grand judoka qui s'appelait Massanori Fukami. C’était vraiment un très très grand technicien et en plus, c'était l'ami de mon papa. Moi, j'avais la chance, quand j'étais petit, de le voir travailler et ce judoka savait tout faire. Et vraiment, quand je dis tout faire, c’est vraiment ça. Quand je le voyais à l’entraînement, il pouvait faire aussi bien Taï otoshi, Seoi nage, Uchimata... 

Il n’était pas très grand, il faisait 1m68 mais quand il rentrait uchimata, même si l'adversaire faisait 2m, il passait la fesse et marquait. C'était un judoka qui avait un judo complet. Il était capable de monter sur le tapis et dire « toi, tu vas tomber sur Seoi nage » ou « toi, tu vas tomber sur O soto gari ». Ça, c'est un grand judoka. Il savait faire ça parce qu'il savait quel judoka il avait en face ou parce qu'il savait, lui, qu’il avait toutes les possibilités, parce qu'il avait un panel technique énorme. Son expérience, les déplacements, la posture… Si tu as un adversaire qui a le pied droit reculé, tu ne vas pas essayer d'aller faire O soto gari. Avec le pied reculé, ça va être compliqué… Tu vas plutôt chercher à faire O uchi gari. C'est de par la posture, de par la garde qu’on s'adapte et quand on a ce panel technique à sa disposition, on peut passer partout. C'est ça un grand judoka.

6. LE JUDO POUR TOUS AVEC FRÉDÉRIC BOURGOIN

6.1 Club, grades, stages...

stage de jujitsu avec Frédéric Bourgoin

Ça fait 40 ans que j'enseigne et j'ai toujours plaisir à enseigner. De par mon expérience, je fais beaucoup de choses différentes. Je fais de la détection dans les milieux scolaires, j’ai plein d'élèves qui ont démarré le judo à l'école et qui sont ceintures noires maintenant. J’en ai même un qui est en apprentissage et qui va devenir professeur…

 J’ai aussi la préparation pour les grades, beaucoup de personnes viennent de loin pour préparer leur 5e ou 6e dan… Un petit peu de 4e dan aussi. La facette de technicien me permet d'aller faire des stages un petit peu partout à droite et à gauche. Récemment, j'étais à Épinal dans les Vosges et une jeune femme vient me voir pour me faire dédicacer son livre. Elle me dit « Monsieur Bourgoin, je vous remercie parce que grâce à vous j'ai appris à chuter. J'ai appris en un stage alors que j'ai été handicapée pendant des années et vous m'avez libérée. Maintenant je n’ai plus peur de chuter ». J’ai aussi la casquette jujitsu, j’aime bien coupler les deux… 

6.2 Public adapté

J’ai ouvert des créneaux pour un public adapté. J'essaie de militer un petit peu auprès de la Fédération sur le taiso santé parce que depuis plusieurs années, j'ai un groupe de personnes qui sont atteints de la maladie de Parkinson et qui ont besoin d'une activité physique quasi journalière ou au moins deux à trois fois par semaine. Le taïso est adapté pour ce public-là parce qu’on a plein d'exercices qui permettent de travailler sur l’équilibre, la posture, le renforcement musculaire, les étirements… Il n’y a pas qu’une seule maladie de Parkinson, il y a plein de symptômes différents entre les tremblements, ce qu'on appelle le freezing c’est à dire la difficulté à faire un pas devant l’autre, les pertes d’équilibre… Pratiquer cette activité physique sur les tapis de judo, ça rassure car en cas de chute, on ne se fait pas mal. J’ai aussi un autre groupe de gens qui sont atteints de polyartrite rumatoïdes avec qui ça fonctionne très bien parce que le fait d'avoir cette activité physique régulière, ça leur permet de limiter les traitements médicamenteux. Ils vont sécréter des endorphines après la pratique physique donc ça calme les poussées inflammatoires. On avait monté cette étude avec l’un de mes élèves qui est professeur en rhumatologie et on a des bons résultats. C’est pour ça que je milite à fond. La plupart des médecins sont pour l'activité physique régulière parce que ça limite plein de problèmes, plein de maladies et les Chinois l'ont très bien compris. Eux d’ailleurs vont traiter la maladie en amont, c’est-à-dire avant de tomber malade. Nous, on a un système en France où on traite la maladie quand elle est déclarée mais il y a plein de choses à faire en amont pour éviter de déclencher la maladie… L’alimentation, l'entretien physique, l'activité régulière… Même pour la maladie d’Alzeihmer, il est possible de stimuler les neurones bien en amont pour éviter de développer cette dégénérescence. 

6.3 Le taïso

Cours de Taiso avec des t-shirts de couleurs

En taïso, j’essaie aussi de promouvoir une pédagogie que j’ai développée depuis plus de 20 ans que j’enseigne cette activité physique. On sait que les occidentaux ont besoin de se voir progresser : Kawashi, après être arrivé en France, s’en est rendu compte au bout de plusieurs années. 

Contrairement aux asiatiques, nous avions besoin d'avoir ce système des petites étapes, un peu comme des marches et c’est comme ça qu’il crée les ceintures de couleurs. J'ai fait le même système pour le Taiso. Il y a des minimums exigibles par t-shirts : t-shirt blanc, t-shirt jaune, t-shirt orange etc. jusqu'au t-shirt noir. D’ailleurs, cette semaine j'ai deux jeunes femmes qui ont passé leur t-shirt noir. Et il n’y a pas que de l’exercice physique, il y a aussi toute une partie technique dans laquelle il y a l'apprentissage du Juno kata. C’est un kata qui se pratique à deux donc il y a ce partenariat qui est important. Chaque t-shirt a, dans son programme, deux techniques. Le t-shirt blanc apprend les deux premières techniques du Juno kata, le t-shirt jaune va apprendre les deux suivantes etc. Ça leur donne la position du corps dans l’espace, ce qui n'est pas toujours évident… Il ne faut pas oublier que nous, les judokas, on a l'habitude d'avoir la tête en bas, les pieds en l’air… mais quelqu'un qui est néophyte et qui n'a jamais fait d’arts martiaux, il ne sait pas où est son corps donc c'est important à travailler. Et quand on fait la chorégraphie à deux, elle n’est pas évidente. Au t-shirt noir, ils connaissent la totalité du juno kata. 

7. POURQUOI UNE NOMENCLATURE JUDO ?

7.1 Un travail sur le patrimoine

Il y a pas mal de personnes qui se posent des questions sur la terminologie de certaines techniques. Les Japonais, eux, ne s'embarrassent pas de différents noms. Par exemple, te guruma, on va le retrouver dans plein de situations différentes, de face, de dos, pour eux c’est pareil… Nous, on va décortiquer la différence entre ko uchi gake, ko uchi barai ou ko uchi gari… Mais en fait, il y a plein de techniques où la nomenclature internationale est différente. 

Judo Ne Waza nomenclature des Kansetsu Waza par Frédéric Bourgoin

J’ai dû bosser pendant un peu plus de 2 ans pour vraiment approfondir ces questions de nomenclature. C’était l’objet de mon 7ème dan. J'ai présenté toutes les techniques de luxation au sol qui était oubliées… On pouvait les retrouver dans les anciens ouvrages de Kawashi ou de maître Mifounet. Il a fallu redonner un nom à ces techniques alors ça a été un travail de recherche. Je me suis basé sur la nomenclature internationale donc sur les différents pays qui utilisent une nomenclature qui est un petit peu différente de celle des Japonais. C’est un vrai travail sur le patrimoine en fait. 

7.2 7ème dan

Quand j'ai exposé le sujet pour mon 7e Dan, j’ai une personne haut-gradée qui m'a interrogé et m’a dit « mais monsieur, quel est l'intérêt de connaître les différents noms de chaque technique ? ». Je lui ai répondu « écoutez, si maintenant le judo se résume à Ippon seoi nage et O uchi gari, tout le reste à côté sera perdu ». Elle me rétorque : « mais ça, on n’a pas le droit de l'utiliser en compétition… » alors je le lui ai dit clairement : « ça n'est pas parce qu'on n’a pas le droit d'utiliser en compétition que ça n’existe pas ! On peut l’enseigner… La compétition, c'est une certaine forme de judo et il y a le judo entier qui comporte des techniques qui ne sont malheureusement plus utilisées mais qui sont intéressantes à enseigner ». Moi, par exemple, j’enseigne toutes les techniques avec les mains sous la ceinture ! Et c’était le but de produire cette intégrale de judo jiu-jitsu : avoir un répertoire complet, riche, qui préserve notre patrimoine. 

8. UNE PROGRESSION JUJITSU À VENIR PAR FRÉDÉRIC BOURGOIN

8.1 Le besoin d'une progression officielle par ceinture

Couverture du livre de Frédéric Bourgoin intitulé Jujitsu au sol

Sur le jiu-jitsu, le problème pour les enseignants actuels, c'est que depuis des années il n’y a pas de progression officielle par ceinture. Il y a eu un semblant de progression avec des curseurs pour telle ou telle technique en disant qu'on pouvait aborder ça à partir de telle ceinture mais il n’y a jamais vraiment eu une progression par ceinture avec des minimums exigibles, comme on retrouve dans le judo. 

C’est un peu complexe lorsque dans chaque école de judo, on n’enseigne pas le même judo. Un professeur, pour telle ceinture, va demander telle ou telle technique et pour un autre club, ça sera d'autres techniques. Le premier filtre, c'est la ceinture noire. Moi, j'ai plein de jeunes élèves que j'ai en préparation qui viennent d'autres clubs et qui ne connaissent pas la terminologie japonaise parce que leur professeur ne leur a pas appris. Pourtant, lorsque tu fais une discipline, tu apprends la terminologie théoriquement ! En escrime, les règles sont en français dans le monde entier et tout le monde les apprend en français. Nous, le judo est originaire du Japon donc on doit apprendre la terminologie en japonais. En jiu-jitsu, je propose donc une progression et je travaille sur ça avec la nouvelle commission nationale qui est gérée par Bertrand Amoussou. L’idée, c’est de préciser les premières phases de progression en disant à quel moment on aborde telle clé ou tel atemi, à quel moment aborder les chutes… L’idée est que les professeurs aient des bases en sachant ce qu’ils peuvent enseigner à une ceinture blanche, une ceinture jaune etc. 

8.2 Du jujitsu au judo, un pas.

Frédéric Bourgoin démontre une technique de jujitsu

Il y a quelques années, la Fédération m'avait demandé d'aller faire une initiation jiu-jitsu au stage des hauts gradés de xxxx  avec des 6e, 7e et 8e Dan. La majorité d’entre eux ne connaissaient pas et ont vraiment découvert que ce n’était pas si loin du judo finalement. Que ce soit la saisie d’un revers, saisie des deux revers, en fait ça correspond à une garde à une main ou une garde mixte. On est alors capable déjà de de faire des choses avec ça, projeter avec un mouvement de base que l'on connaît en Judo par exemple. Après, que la saisie se fasse à la gorge ou au poignet ou encore à la manche, ça sera comme un kumikata.

9. LE MOT DE LA FIN

Retrouvez Frédéric Bourgoin :

Lors de son prochain stage à amiens :

Affiche présentant le stage jujitsu proposé par Frédéric Bourgoin en décembre 2023

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  • J ai la chance d’avoir fait des stages avec FRED et d’avoir un de ses livres dédicacés dans les années 90 ( Il était 5 e DAN ) .C’est un super pédagogue qui sait transmettre son savoir tout en laissant l’élève s’auto-évaluer et se corriger lui-même .

    • 😍 Merci de ce témoignage ! J’ai ressenti la même chose en suivant quelques-uns de ses cours et je regrette de ne pas habiter proche de son dojo 😉

  • Après un petit bagage judo il y a plus de 30 ans, et une très longue pause, j’ai eu la chance d’intégrer les cours jiu-jitsu de Frédéric il y a 3 mois. Une expérience extraordinaire. Une «ambiance dojo » à la fois hyper technique et hyper sympa. L’impression de vivre « l’entraide et la prospérité mutuelle » au plus près. Un super enseignant!!

    • Oooh quel plaisir de lire ce message Guillaume !! Vraiment ça fait plaisir car c’est exactement ce que j’ai découvert : cette « ambiance dojo » avec une grande qualité… et encore, je n’y suis allée que quelques fois. Mais ça a suffit à me marquer ! Au plaisir de s’y croiser alors 😊

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