Ce mercredi 18 septembre 2024, j'ai eu la chance de rencontrer Tsumura Sensei au musée du Kodokan pour échanger sur ce film d'archive de 1952, qu'Hiroko Abe, la fille d'Abe Sensei, m'avait confié en 8mm quelques mois plus tôt pour que je puisse le numériser.

Pour la petite histoire, cette bobine se trouvait dans une enveloppe titrée (en Japonais) "Perpignan démonstration de waza avec Moreau" et nous pensions avoir mis la main sur un film qui n'était jamais sorti et dont seuls quelques témoins de cette époque, comme Jacques Seguin, se souviennent. Il n'en était rien : finalement, c'est l'original d'un film japonais de promotion du judo pour lequel un générique en bonne et due forme a été ajouté ainsi qu'une voix off qui explique (en japonais) ce qu'est le judo.

Comme l'a expliqué Tsumura Sensei, beaucoup de visages auraient pu être reconnus par ceux qui ont vécu ces moments, comme les 10ème dan Daigo Sensei, Abe Sensei ou Osawa Sensei, tous les trois disparus en 2021 et 2022. Malheureusement, il semble aujourd'hui impossible de retrouver certains détails. J'espère que cet article pourra contribuer à garder la mémoire de l'histoire du judo, de notre histoire. Tous mes (nos) plus sincères remerciements à Tsumura Sensei pour son temps et son savoir précieux.

Le Kodokan Suidobashi (Tokyo) 1934-1958

Le Kodokan qui se trouvait à Suidobashi (nom du quartier et de la station de métro), 1934-1958.
Durant la période d'interdiction des arts martiaux sous l'occupation américaine (1945-1952), le Kodokan a pu rester ouvert en tant qu'institution privée et également du fait que le judo a pu être perçu comme une méthode d'éducation et de développement physique plus que comme un art martial. 

Il y avait 2 entrées : une pour les débutants qui venaient apprendre et une pour les ceintures noires.
Le grand dojo se trouvait au 1er étage et le public au 2ème étage. L'actuel grand dojo a d'ailleurs été volontairement construit suivant la même configuration.

Kodokan Suidobashi

Durant la guerre, une bombe a traversé le toit et brûlé une partie du dojo qu'il a fallu reconstruire.

On est loin des premières surfaces de 12 tatamis sur lesquelles Jigoro Kano enseignait toutes ses premières années.

Jigoro Kano a le titre de Shihan (et non Sensei). On dit uniquement "Shihan" lorsqu'on parle de lui et non "Kano Shihan". S'il n'y a (et aura) qu'un seul Shihan dans le judo, ce titre existe, bien sûr, dans d'autres disciplines japonaises (calligraphie, cérémonie du thé etc.).
Jigoro Kano n'a jamais été 12ème dan, il n'avait pas de grade. Il a simplement porté une large ceinture blanche (tissu plus fin), à la fin.

Risei Kano, fils de Jigoro Kano

Risei Kano est l'un des trois fils de Jigoro Kano et dirige le Kodokan de 1946 à 1980 (durant 34 ans !). Il fut également président de la Fédération Internationale de Judo de 1952 à 1965.

Enfants du Kodokan qui apprennent le judo

S'il y a autant d'enfants sur le tatami, c'est qu'il n'y avait que très peu d'autres activités possibles (comme le base-ball par exemple). En tout cas, le fait d'accueillir des enfants s'est fait depuis la création du judo. Tsumura Sensei rappelle que c'était une méthode d'éducation.

Les hommes, les femmes et les enfants pratiquaient les randoris dans des groupes séparés. Ce n'est que pour l'occasion de ce reportage filmé qu'ils ont été invités à pratiquer ensemble.
C'est en 1908 que les manches de judogis ont été rallongées jusqu'à la moitié de l'avant-bras et les pantalons jusqu'à la moitié du mollet. Ensuite, c'est avec l'arrivée de la Fédération Internationale qu'apparait le judogi de la longueur qu'on connait.

Parmi ces femmes, il devrait y avoir Masako Noritomi mentionnée dans le générique. C'est la 1ère femme à avoir reçu un grade. Elle est, en 1952 pendant ce film, déjà 5ème dan et sera promue 6ème dan par la suite.

Les femmes ont été accueillies pour apprendre le judo dès 1893 et la section féminine officielle du Kodokan a été ouverte en 1926.

Kotani Sensei

Démonstration technique par Kotani Sensei, 8ème dan dans ce film. Kotani Sensei obtiendra son 10è dan en 1984, décerné par Risei Kano. Il sera le 12ème judoka à le recevoir. Le 1er judoka à être 10ème dan fut Yamashita Sensei, en 1934. Il est l'un des 3 judokas ayant reçu leur 10ème dan par Jigoro Kano lui-même (ave Isogai Sensei et Nagaoka Sensei).
Les hauts-gradés portaient déjà la ceinture blanche et rouge, ou rouge, à cette époque.

Fukuda Sensei, 4ème dan dans ce film (39 ans - 5ème dan l'année suivante). Elle était la dernière élève de Jigoro Kano qui l'avait invitée dans son dojo en 1934, elle a alors 21 ans. Jigoro Kano connaissait Fukuda Sensei car c'était la petite fille de l'un de ses 3 maîtres de jujitsu auprès desquels il s'était formé.

Fukuda Sensei fera partie, avec son ainée Masako Noritomi, des deux premières femmes à être 6ème dan, en 1972. En 2006, le Kodokan lui décerne le 9ème dan, faisant d'elle la toute première femme a atteindre ce grade, toutes fédérations reconnues dans le monde confondues.
Aux États-Unis, la fédération américaine de judo lui décerne le grade de 10ème dan en 2011. Elle décède à 99 ans aux Etats-Unis.

Remarquez que le noeud de ceinture est différent : pour les femmes, un noeud supplémentaire était fait pour que la ceinture soit courte. Aussi, le bas du pantalon de judogi était cousu de façon plus effilée en bas afin qu'il ne dévoile pas les mollets.

Nagaoka Hideichi Sensei, démonstration de techniques de main (Te Waza), 10ème dan depuis 1937 (décerné par Jigoro Kano).

Il n'y avait pas d'examens en particulier pour les grades à cette époque. Jigoro Kano regardait les résultats en shiai, la progression à l'entrainement et le comportement dans la vie.

Mifune Kyuzo Sensei, démonstration de techniques de jambes (Ashi Waza), élève de Jigoro Kano également et 10ème dan depuis 1945, décerné par Jiro Nango, le deuxième président du Kodokan (et le neveu de Jigoro Kano).

Compétition organisée au Kodokan pour la démonstration (ce ne sont pas des championnats en particulier). Osawa Yoshimi Sensei, 5ème dan dans ce film (il sera 10ème dan en 2006) gagne avec Sode Tsuri Gomi Goshi face à Wamura Kimio Sensei, également 5ème dan dans ce film.
Cette compétition est arbitrée par Mifune Sensei.

Un combat durait 20 minutes, avec seulement le waza-ari et le ippon. Il était courant qu'au bout des 20 minutes, n'ayant pas de vainqueur, le combat soit prolongé de 20 minutes encore. Nous avons échangé avec Tsumura Sensei : si le temps d'un combat doit être limité à quelques minutes seulement, il faut alors laisser la possibilité du "hikiwake" (égalité). Sinon, s'il n'y pas eu de wazari ou ippon, on se retrouve à désigner un perdant, ce qui n'a pas de sens.

Ici, le plus grand des deux combattants est Yoshimatsu Yoshihiko Sensei, 6ème dan dans le film et champion du Japon toutes catégories (Zen Nihon). Face à lui, Hatori Teruhisa, 6ème dan également et 3ème au Zen Nihon en 1951.
La 1ère édition du Zen Nihon a lieu en 1948.

On reconnait, dans le public, Daigo Sensei : c'est l'homme très brun du 2ème rang dont la tête dépasse largement. Daigo Sensei, 10ème dan, est décédé en 2021.
Également, avec la moustache au 1er rang à droite, Nagaoka Sensei, élève de Jigoro Kano qui lui décernera le 10ème dan en 1937.

"Ligne" effectuée par Ishikawa Takahiko Sensei, 7ème dan dans ce film : c'est ce qu'on appelle, en japonais, Gonin Gake (littéralement : "projeter 5 personnes").
Son premier adversaire est Onnagawa Yaichiro et l'arbitre, c'est Nagaoka Sensei (vu dans le public juste au-dessus).

Encore un très grand merci à Tsumura Sensei pour cette belle et riche après-midi ainsi qu'à Hiroko Abe pour son aide précieuse dans la rédaction de cet article. Et lors de vos prochains voyages à Tokyo, pensez à passer par le 2ème étage du Kodokan au musée, ouvert toute la semaine de 11h à 18h ! Les informations sur le site du Kodokan ici.
Vous pouvez aussi découvrir le judo au Kodokan en 2024... avec ce reportage sur le Kangeiko ici !

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  • Bel article pour la compréhension de notre art martial dont il ne faut pas oublier son histoire. C’est à nos enseignants de la transmettre encore faut-il qu’ils s’y intéressent

    • Et je réalise, avec ce tout petit travail de recherche, comme l’histoire peut vite s’oublier justement… Dès qu’un ancien nous quitte, c’est tout le monde du judo qui perd sa mémoire et son savoir !

  • Quelle richesse, toutes ces informations, quand tu es passionnée de judo, t’émerveilles à chaque article, mais alors là… j’ai l’impression que tu as découvert un trésor 🙂 pour être allée au kodokan cette année, j’ai aussi fait un tour au 2è étage et je confirme que les archives sont incroyables, j’en retiens toute la place des femmes très tôt, merci à Jigoro Kano et tous ceux qui perpétuent son histoire pour les jeunes générations que nous sommes. Merci à Pascaline de partager toutes ces pépites …. c’est magique!

  • Juste Arigato Gosa Massu PascaLine San. L’histoire, l’essence du notre art passe par ses pépites d’archives

  • Super quand on fait une prestation de Grade c est une histoire qu on raconte aux juges soit son histoire à travers sa pratique cela montre que notre sport a une richesse énorme à travers son histoire et on se doit de transmettre cette histoire et ne pas s en égarer ce sont nos fondamentaux
    Bravo et merci Pascaline pour cette belle histoire🤩🤩

    • Oh merci beaucoup 😍 Alors tant mieux parce que moi, j’adore les histoires depuis toujours 😅 Les petites et les grandes, les incroyables ou les insignifiantes …

    • aaaah merci 😊 « Toujours » je ne sais pas… mais c’est comme au judo, on apprend en pratiquant et si le plaisir est là, alors c’est le principal. Touchée, donc, que ce soit un plaisir partagé. Merci !

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