Ici, je vous propose une interview de Mathieu Bataille ! Ce grand champion nous a fait vibrer dans les années 2000 lorsqu’il était en équipe de France. Après avoir arbitré aux Jeux Olympiques de 2021, à Tokyo, le voilà parti sur les JO de Paris 2024 ! Cette interview a été réalisée au printemps 2021.  

Matthieu Bataille a passé 15 ans en équipe de France, avec de magnifiques médailles. Il nous raconte ses premiers pas de petit judoka.

J’ai commencé le judo parce que mon frère en faisait !

Je l’ai suivi à l’entrainement, à Etaples-sur-mer. J’avais 6 ans et il en avait 12. J’ai tout de suite aimé même si j’ai eu très vite des problèmes de genoux, dès que j’ai été minime. Mais regarder mon frère en compétition, ça m’a vraiment donné envie d’aller plus loin ! Lui était un athlète qui montait en 1ère division. Il avait gagné le championnat de France 2ème division. Ça m’a donné envie de faire comme lui et j’ai réussi à monter les échelons doucement.

En 1997, j’ai gagné les championnats de France Juniors.

J’étais une vraie surprise parce que je m’entrainais seulement dans mon club ainsi qu’à Boulogne-sur Mer ! Des entraineurs m’ont alors demandé si je voulais rentrer à l’INSEP. C’était l’occasion rêvée. Je savais que ça n’allait peut être pas se reproduire… J’ai donc sauté sur l’occasion et je suis rentrée à l’INSEP. C’était dur au début. On sert un peu de « viande », tu es le petit jeune qui arrive… 

J’avais aussi encore mes problèmes de genoux. J’ai due me faire opérer de chacun d’eux. Mais…

Je me suis accroché !

Ça m’a servi mentalement. C’était vraiment dur psychologiquement : il faut revenir après la blessure, faire une grosse rééducation, ne pas remettre le kimono, s’entrainer différemment… Il ne fallait rien lâcher. Continuer. Je me suis accroché et mes résultats ont commencé à arriver après mes blessures. En 2001, j’étais remplaçant aux championnats du monde. En 2002, champion du monde universitaire. 

En 2004, j’ai participé aux jeux olympiques. Entre David Douillet et Teddy Riner ! Même si je regrette de ne pas avoir fait de médaille. Mais c’est la vie ! Et d’avoir participé, je m’en rappellerai toujours. 

Je n’ai pas arrêté ma carrière brutalement, je me suis préparé.

Ce n’était pas évident car on est dans une bulle lorsqu’on est dans le haut-niveau. On ne fait que s’entrainer… et récupérer ! Quand ça s’arrête, ça peut être difficile. J’ai fait les choses progressivement.

En 2012, j’étais remplaçant de Teddy Riner aux Jeux de Londres. Puis, je suis parti de l’INSEP. J’ai continué ensuite deux saisons avec le club de Chilly-Mazarin dans le Nord-Pas-de-Calais. J’ai participé à des championnats par équipe, des World Cup. J’ai d’ailleurs ramené une médaille d’argent du tournoi de Biélorussie. Je savais que ça n’allait pas duré car étant dans le Nord-Pas-de-Calais, j’étais plus limité en termes de partenaires… Je m’entrainais pas mal par moi-même. Je faisais aussi beaucoup de cardio.

Comme j’étais gardien de la paix, je savais que je pouvais avoir un emploi derrière. J’avais préparé le terrain. J’ai pu entrer en tant qu’éducateur sportif sur Étaples-sur-Mer entre autre. Donc j’ai arrêté progressivement.

Côté arbitrage, ce fut le hasard !

Marius Wiesser, président de Fédération Internationale du Judo, avait mis en place un cursus plus rapide pour les anciens champions. J’ai donc eu cette opportunité. Je me suis dit pourquoi pas ! Bien sûr, je ne m’y attendais pas du tout… Si on m’avait proposé, quelques années plus tôt, d’aller vers l’arbitrage, je crois que j’aurais dit non… Mais finalement, ça m’a plu tout de suite.

Il y a l’adrénaline parce que tu arbitres parfois des sacrés combats !

Il y a le stress de ne pas se tromper même si on sait que l’erreur peut être humaine… C’est différent de quand on combat. Quand tu montes sur le tapis, tu as le stress de bien faire, de gagner ton combat. Là, tu n’as pas le stress de gagner ton combat mais tu as le stress de bien faire. De ne pas te tromper. Les athlètes s’entrainent des heures et des heures pour ce moment donc en tant qu’arbitre, tu ne veux pas fausser le combat.

Ça m’est arrivé d’arbitrer des athlètes que j’avais côtoyés

J’ai arrêté ma carrière assez tard, en 2014, j’avais 36 ans. J’étais donc un ancien sur le circuit et j’ai vu des petits jeunes arriver que j’arbitre aujourd’hui. On se regarde et on se comprend tout de suite. Sans échanger, juste le regard, on capte tout de suite. Ça fait bizarre mais ça se passe bien.

Dans tous les cas, j’arrive à faire abstraction des champions que j’arbitre sur le tatami. J’arbitre tout le monde de la même façon, sans différence. Que ce soit en départemental, ou en international, pour moi c’est pareil, le même arbitrage. Et je reste toujours concentré sur l’arbitrage, même si parfois, avec ma casquette de coach, je suis tenté de penser aussi à ce que font les combattants 😉 D’ailleurs, je regarde souvent les combats qui m’intéressent en rentrant puisqu’en tant qu’arbitre, je ne peux pas voir toute la compétition.

J’essaye d’être le plus carré possible.

Jean-Jacques Rusca, Vincent Druaux, Cathy Mouette sont des arbitres qui m’ont aidé lorsque je suis arrivé sur le circuit. Connaître le judo ne suffit pas. Par exemple, ce qui est difficile au départ, c’est d’être bien positionné sur le tatami. Parfois, j’avais plus envie d’attraper le judogi ! Mais l’emplacement et l’angle de vue sont très importants.  Donc se faire aider pour ce type de précision, c’est vraiment utile. Je les remercie !

Je me souviens de mon 1er grand prix.

J’ai eu plusieurs situations chaudes et je me suis dit que c’était quand même compliqué l’arbitrage ! Mais comme tout travail, c’est à force de faire que tu progresses… Je m’étais dit que ça allait être compliqué mais avec le temps, j’ai pu gagner en aisance. Je suis plus relâché.

Une chose est sûre, c’est que si c’est moins physique que d’être athlète, il faut vraiment être au taquet mentalement. On arbitre une douzaine de combats par jour et à chaque fois, il faut être très concentré et être à l’affut de chaque action.

Durant ma carrière de haut-niveau, j’ai eu à faire de la préparation mentale. Maintenant, en tant qu’arbitre, je peut gérer grâce à l’expérience. Mais la préparation mentale aide toujours. Durant le confinement, j’ai commencé le yoga grâce à ma femme. Il y a pas mal de phases de relâchement qui me servent pendant les tournois.

La vidéo est un apport positif.

Comme je le disais, au début, je ne pensais pas à tous ces petits détails, comme le fait d’être bien positionné. Si quelqu’un tombe d’un certain côté avec le coude sorti, par exemple, tu peux ne pas le voir. C’est la vidéo qui aura l’angle qu’il faut. Ça prend parfois du temps d’ailleurs car il y a des actions vraiment ambigües. Tu as beau les regarder 50 fois, certains diront qu’il y a score, d’autres diront l’inverse. Certaines situations sont vraiment difficiles ! Parfois, je regarde plusieurs fois et je suis toujours indécis.

C’est pourquoi la vidéo est vraiment un plus, surtout à l’international car on a des angles de tous les côtés. Pour les championnats du monde à Tokyo, on avait même une vidéo sur le dessus ! Tous les angles étaient cernés pour qu’il n’y ait pas d’erreur.

Généralement, à l’international, on est 6 arbitres par tapis. Il y a également 2 juges et une commission de supervision qui a les vidéos. Celle-ci est supervisé par un responsable et composée d’anciens champions olympiques. Ces derniers temps, certainement à cause du COVID, nous n’étions que quatre arbitres par tapis. Il n’y avait pas de juges. Nous avions seulement la commission vidéo. Mais je pense que ça n’a pas gêné l’arbitrage. Le plus important est de bien gérer le combat : voir les attaques, si elles sont réelles ou fausses, laisser les judokas faire leur judo… C’est le plus important. 

Laisser vivre un combat.

Il faut laisser vivre le combat, ne pas annoncer des matte aux mauvais moments par exemple si une attaque est prête à partir… Il faut gérer les prises de garde…. Il faut avoir un oeil attentif, d’autant plus qu’au niveau international, certains sont malins ! Ce qui est normal d’ailleurs. Je connais les coulisses 😉 Il faut donc être attentif, être le plus réglo possible et bien sentir la chose pour laisser vivre la chose.

Ma carrière de haut niveau m’aide pour arbitrer.

Par exemple, sur le travail au sol, le fait de bien connaitre les enchainements m’aide à voir qu’un travail peut être fait et donc ne pas dire matte trop vite et au contraire laisser les athlètes travailler s’il y a de la continuité. Avec l’IJF, on a parfois des stages judo pour voir les actions au sol, le type de travail qu’on peut laisser faire, ce sont vraiment des stages judo qui durent 3 jours entre 2 grands prix pour vraiment sentir ce que les judokas sentent durant les combats. 

Mais tout arbitre a sa façon de penser, tout en faisant de son mieux ! Et s’il y a une erreur, la commission interviendra.

C’est très rare de rendre une décision sur laquelle on n’est pas d’accord.

Si l’angle de la vidéo te montre autre chose, tu fais confiance à la commission. Il y a des personnes très connues au niveau judo, qui connaissent bien le sport, donc tu leur fais confiance. C’est vraiment un travail d’équipe avec les juges et la commission. Parfois, tu peux te tromper et dans ce cas, tu enlèves ce que tu as annoncé. L’erreur est humaine. Et du point de vue des athlètes, tu vas être parfois défavorisé mais le coup d’après, tu seras favorisé. C’est involontaire, et c’est tous les sports comme ça !

Le judo évolue

Quand j’ai commencé le judo, on avait le droit d’attraper les jambes. J’aimais bien car j’avais souvent des gabarits plus grands que moi ! Mais il a fallu s’adapter car en 2010, il a fallut faire une attaque pour pouvoir attraper les jambes. J’ai dû évoluer, comme tout le monde… C’est vrai qu’au niveau du public, c’est intéressant. Aujourd’hui, on peut regarder les grandes compétitions. C’est un peu le système du tennis, avec des tournois. Cette évolution depuis les années 2000 va vers un côté de plus en plus carré et pro.

En tant qu’entraineur, je ne fais plus voir d’attaques dans les jambes. Que ce soit sur mon groupe compétition ou judo loisirs, je fais attention aux réflexes développés. Ça m’est arrivé en 2012 ou 2013 : j’ai attrapé la jambe…! Donc j’évite de développer ce type d’automatismes qu’on acquiert justement à l’entrainement. C’est un choix. Mais je préfère ne pas le faire pour éviter de prendre des pénalités pour rien.

Aujourd’hui, mes week-ends sont chargés !

Je suis 6ème dan. Je l’ai eu par mes résultats puisqu’il y a plusieurs systèmes pour obtenir les grades.

J’ai commencé l’arbitrage en 2017. Après j’ai fait les championnats d’Europe et du monde, je compte continuer encore un petit moment ! Je prends beaucoup de plaisir à arbitrer. Je peux dire que c’est une passion en fait… Pendant le confinement, j’ai eu le manque de ne pas arbitrer les grands prix ou les grands chelem ! Arbitrer de grands champions, ça m’a manqué. C’est d’ailleurs tout qui m’a manqué. Je suis aussi enseignant dans un club, sur le coaching des athlètes et l’arbitrage les weekends. En temps normal, c’est vraiment chargé… Entre l’arbitrage et les jeunes à accompagner en compétition, depuis les benjamins jusqu’aux seniors, je n’ai pas beaucoup de temps ! Mais j’ai vraiment beaucoup de plaisir.

Je vous attends cet été 🙂

Depuis 2013, j’organise chaque été un stage sur Étaples. J’invite à chaque fois un grand champion. Automne Pavia, Cyril Marret, Lucie Décosse, David Larose… C’est ouvert à tous, de benjamins à seniors ! Ça dure deux jours et demi. Les champions font voir leurs techniques favorites, tout comme moi ou le staff du club d’Étaples. Il y a également Jean-Louis Preslier, également arbitre international, mon « frère » ! C’est un stage qui marche puisqu’on a démarré à 60 participants et aujourd’hui, on est à 100. En revanche, on limite à ce maximum pour rester dans la qualité et se faire plaisir !

Alors bienvenue ! Et si vous avez des questions, n’hésitez pas à m’écrire, j’essayerai d’y répondre.

Merci Matthieu

Tous les passionnés de Secrets de Judokas te remercient vivement de ton temps et de ta générosité dans le partage de ton expérience !

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